Gulliver X © Pascal Mirande
Un ensemble de dix-sept Gulliver(s) compose actuellement cette série photographique de Pascal Mirande, élaborée suivant un processus de mise en scène du corps se développant à travers le concept de genèse et dévoilant un champ de référence, de citations empruntées à la littérature et à l’histoire de l’art.
La genèse, du grec genesis, « naissance, origine » recouvre une multiplicité de sens dont celle de « formation d’un être ». Par extension, elle signifie « élaboration, organisation d’une chose, d’une figure, d’une pensée... » L’histoire de l’humanité représentée sous les traits d’Adam et de Eve, la réalisation d’une multitude de petites structures en bois semblant participer à l’édification et à l’architecture de corps, et plus largement la conception matérielle et intellectuelle de l’œuvre en sont, notamment, une métaphore.
Gulliver I © Pascal Mirande
Le corps, au centre de la recherche, prend souvent comme référence certaines statuaires et peintures historiques identifiables par la pose des modèles : Le David de Michel-Ange, Le Déjeuner sur l’herbe et l’Olympia de Manet , Œdipe d’Ingres, La Naissance de Vénus de Botticelli, La Mort de Marat de David... Si Pascal Mirande s’approprie ces œuvres majeures par la citation, il en donne cependant une lecture et une interprétation nouvelles grâce à un ensemble de constructions prenant parfois la configuration d’un exosquelette et participant à la structuration d’un être singulier, d’un corps réel-imaginaire.
La citation met en évidence les rapports de ressemblance et de dissemblance, les écarts et les rapprochements de l’image et de son modèle. L’icône suit le récit de la tradition chrétienne selon laquelle Dieu créa l’homme à son image. L’homme ainsi conçu est une image, une « icône » vivante de Dieu et de son Modèle. « Il se définit doublement comme ressemblance au Modèle et vocation à imiter ce Paradigme, à participer à cette perfection dont il est le reflet ». À travers l’image du Christ, l’homme revêt l’image du sacré ; il devient ainsi face de Dieu et maître de la Création.
Gulliver VI © Pascal Mirande
Dans ses photographies, Pascal Mirande scinde souvent l’humain en quatre images ; il créé une division qui n’est pas sans rappeler les quatre parties du roman de Jonathan Swift décrivant Les Voyages de Gulliver suivant la découverte de nouvelles contrées : Lilliput, Brobdingnag, Laputa et Houyhnhnms. L’exploration fantaisiste de mondes imaginaires permet à l’écrivain de modeler des archétypes politiques et culturels venant éclairer, au fil de son périple les faiblesses ou les tares de la communauté européenne. Les deux premiers voyages sont, à ce titre, dans leur analogie, des exemples de dérision, soumettant le héros à un principe de relativité qui lui confère suivant les lieux où il échoue, un absolutisme ou un assujettissement littéralement dictés par sa taille. Dans l’œuvre de Pascal Mirande, le corps pourrait naturellement donner les indications d’une échelle, d’une mesure. Mais qui le perçoit ? Un Gulliver échoué sur l’île de Lilliput, imaginant la réflexion de son image dans un miroir ou des Lilliputiens décidant de capturer celui qui, à leur mesure (six pouces de haut), se révèle être un géant ?
Propos : Isabelle Tessier, responsable de l’artothèque de Vitré, L’icône, art et pensée de l’invisible, CIERE, Saint-Etienne, 1991, p.33.
Vignette : Gulliver X © Pascal Mirande