© Milomir Kovacevic
Espace Photographique de l'Hôtel de Sauroy 58 rue Charlot Mº Filles-du-Calvaire ou République 75003 Paris France
C’est l’histoire d’un pays, d’une ville, de ses habitants, d’un homme. Le pays n’existe plus : c’était la Yougoslavie. La ville a été blessée à jamais : c’est Sarajevo. Ses habitants, en grande partie, ne sont plus les mêmes: certains tués, d’autres partis. L’homme est vivant, mais blessé, lui aussi, pour la vie. Il se souvient, et ces photos sont comme les cicatrices indélébiles de ce souvenir. Aussi indélébiles que celle de la balle qui l’a frappé au menton, un jour comme les autres, parmi les 1395 jours qu’a duré le siège.
© Milomir Kovacevic
«J’ai toujours vécu dans la photo.» Milomir Kovacevic est né, a grandi, a appris son métier et s’est passionné pour lui dans la Fédération Yougoslave. Tout n’y était pas parfait, le socialisme affiché n’avait peut-être pas toutes les riantes couleurs dont on le parait, le chef de l’État toutes les vertus, les peuples divers tous les sentiments fraternels proclamés sur les affiches. Mais enfin on y vivait, on avait ses amis à Belgrade, à Zagreb ou à Ljubljana, on pouvait être croate à Skopje et serbe à Sarajevo. On s’y projetait dans l’avenir. Milomir Kovacevic travaillait pour la presse de Sarajevo. Les pionniers qu’il a photographiés souriaient comme il avait souri quand il était lui-même pionnier. Ici, il n’y a plus de pionniers, il n’y a que des enfants dont le jouet est une kalachnikov en plastique et qui rêvent d’en avoir une vraie. Du chef de l’État il ne reste que des portraits déchirés, abandonnés, rejetés. Et de la fraternité des peuples ... Voilà donc des photos qui n’ont pas été prises de l’extérieur par un photographe de passage, si bien intentionné, si concerné soit-il, mais de l’intérieur du drame. «Ces photos m’ont permis de survivre», dit leur auteur. Mille bobines : il fallait se les procurer, il fallait avoir de quoi les tirer. (aller chercher l’eau très loin, au petit matin, à l’heure du brouillard protecteur), il fallait les exposer, à la lumière des bougies, il fallait que le public prenne le risque de traverser les rues sous la menace des snipers pour venir aux cinq expositions qui ont eu lieu pendant le siège. Il fallait montrer, à soi-même, aux autres, au monde, que l’on restait capable d’œuvrer, et solidairement.
© Milomir Kovacevic
Autobiographie, chronique d’un peuple.
Sur ces photos, des amis aux figures familières. Et les morts, parfois, le photographe venait tout juste de leur parler, de leur sourire. Dix mètres, et ç’aurait aussi bien pu être lui. Dans les immenses cimetières qui se sont peu à peu composés, il y a, quelque part, son père.
Banalité, au fil des mois, du massacre. «J’ai presque arrêté de photographier les morts.»
Dérision : des mannequins de vitrines, déchiquetés, représentent cette négation de l’humain à quoi voulaient parvenir les massacreurs. Face à cette négation, il reste cela : un être humain, des êtres humains, ont tenu. Parmi eux, un photographe a fait ce qu’il savait faire : des photos. Au cœur du désastre, il a lutté, chaque heure, pour sauvegarder une distance qui permette encore de penser, de réfléchir, de continuer de vivre au milieu des autres. De partager avec eux, comme on partage un morceau de pain.
Vignette : © Milomir Kovacevic