© Ambroise Tézénas. Gymnasium, "Dark Tourism", 2010.
Le tourisme « macabre » est une des nouvelles tendances de l’industrie touristique. Chaque année, le nombre de visiteurs augmente. Théâtres de catastrophes naturelles ou de guerres, scènes de crimes, quartiers dangereux ou sinistrés, la liste de ces lieux de désolation accessibles aux touristes ne cesse de s’étoffer. Leur point commun : la mort, le danger, les stigmates visibles et surtout une proximité dans le temps qui rend le drame tangible.
Mais face à une logique commerciale implacable, les sites ne sont pas tous égaux. Et pour attirer les visiteurs, certains Tours Operator font preuve d’une imagination parfois douteuse. Le projet « Dark Tourism » est un état des lieux non exhaustif mais suffisamment large pour mettre en lumière une dérive de notre monde actuel jamais photographiée dans son ensemble.
On pourrait se féliciter de cet intérêt croissant des touristes pour les faits tragiques de notre histoire contemporaine. Cependant, il est intéressant de se pencher plus précisément sur l’importance donnée à un lieu plus qu’à un autre et sur les motivations de certains visiteurs. On remarque par exemple que si les guerres du début du XXe siècle continuent à susciter de l’intérêt, elles ne focalisent plus la même attention. Sans la mémoire des survivants pour les valider, ces évènements lointains ne parlent plus finalement de notre modernité et de ses conséquences. Ils sont moins des vecteurs de doute, et d’anxiété. Le lieu est un prétexte, une scène où le danger doit être pres- senti, mais pas forcément réel. En réalité, les «spectateurs» veulent surtout se rassurer. «Il y a une volonté de conjurer le malheur et la précarité des choses en se maintenant dans une position favorable» explique le sociologue David Le Breton, auteur de « Passion du risque ».
« Dark Tourism», ce projet qui révèle un effet pervers du tourisme de masse me tient à cœur depuis longtemps car il témoigne d’une autre évolution de notre société. Je crois profondément à l’intérêt d’un tel sujet, qui ne peut manquer de susciter la réflexion, voire la polémique. L’origine de mon projet remonte en réalité au Tsunami du 26 décembre 2004. En vacances au Sri Lanka, alors que ma femme et moi nous dirigions vers la côte sud, une bienheureuse panne de voiture nous a ralenti et peut être sauvé la vie. Nous avons alors passé une semaine à Telwatta à l’endroit où le train qui reliait Galle à Columbo à été balayé par les flots causant le mort de 2000 personnes. Ma femme, journaliste radio, moi, photographe, nous avons « couvert » l’événement tragique. Nous avons senti l’odeur de la mort et la douleur des rescapés. Cinq années après, le train était toujours là, couché dans la jungle, et les touristes venaient s’y faire photographier.
Pour assurer la cohérence du projet, il importe de pouvoir l’illustrer à l’échelle du globe. A ce jour, mes recherches documentaires ont déjà donné lieu à plusieurs voyages en Ukraine, Pologne, Etats-Unis, Lettonie, Chine et en France. Je souhaite désormais photographier des sites situés au Rwanda, Liban, Japon, Lituanie. La liste de ces lieux a été établi conjointement avec le professeur John Lennon, universitaire anglais, auteur du livre « Dark Tourism, the attraction of death and disaster », livre de référence sur le sujet publié en 2000.
Ambroise Tézenas
Vignette : © Ambroise Tézénas