Sans titre, 1998, © Anne Lefebvre
Espace Photographique Contretype Contretype - 4A, Cité Fontainas - B-1060 Bruxelles Belgique
La rencontre avec les photographies d’Anne Lefebvre ne laisse d’interloquer tant leur présence s’avère énigmatique. Rien de surprenant ni de sensationnel pour autant mais au contraire un effet de «déjà vu», une troublante faculté de faire entrer ces images inédites en résonance avec toute une palette de registres visuels inscrits en nous.
Les photographies d’Anne Lefebvre entretiennent, en effet, une délectable confusion quant à leur origine, leur source et leur provenance, soit une oscillation constante entre des états potentiels de ces images indécidables. Plasticienne séduite par la qualité d’archive à laquelle accède inévitablement toute photographie, le tirage n’est pas pour elle épiphanie chimique d’une image mentale obtenue en laboratoire mais poursuite d’un travail expérimental qui va mettre le document photographique à l’épreuve de l’atelier du peintre.
Par la recherche inlassable et le choix minutieux de ses papiers, les jeux de surimpression et d’effacement, les interventions à l’encre ou au feutre, n’hésitant pas à maltraiter ses tirages, ébouillantés pour faire virer les couleurs et surgir des détails latents inattendus ou subissant l’outrage des frottements et de la poussière, comme tenaillée par le sentiment de l’insuffisance des images, Anne Lefebvre leur insuffle cette étrange énergie vibratoire qui semble en interdire l’authentification.
Ses tirages uniques aux bords accidentés, griffés et usés, comme surgis d’une époque révolue, parlent une langue étrangère qui nous est pourtant immédiatement familière. On les croirait sauvés d’un naufrage, récupérés dans les archives d’un photographe anonyme ayant côtoyé Man Ray ou sortis de vieux albums de photos de famille d’émigrés russes arrivés dans l’entre-deux guerres à Boulogne-Billancourt (lieu de naissance de l’artiste), rapidement rebaptisée Billankoursk par ses nouveaux habitants. La fascination qu’exercent sur la photographe le monde slave et les avant-gardes historiques s’incarne dans son admiration pour une figure littéraire russe des années 1920, Daniil Harms, qui aura rallié tous les mouvements d’avant-garde, des transmentalistes aux obérioutes, et effectuera même un séjour forcé à Koursk. Le non-sens minutieux et entêtant de Harms était donc tout désigné pour accompagner ces images mentales plus vraies que nature. Daniel Vander Gucht, sociologue et éditeur