© Emilie Vialet
L’intérêt des artistes pour le paysage s’est longtemps concentré sur la représentation du pittoresque. Les photographes n’ont pas fait exception. Le beau paysage était alors soit celui, grandiose, des forces de la nature ou du génie humain, soit l’harmonieux produit de siècles de lente élaboration : le cirque de Gavarnie, les ruines de Rome, la ruelle ou la chaumière. Les paysages habituels, trop quotidiens pour être vraiment vus, n’étant, au mieux, que l’arrière- plan d’un sujet plus digne d’être regardé.
La mission photographique de la DATAR, au début des années 80, a changé cette vision. En prétendant faire un état des paysages français contemporains, certains des photographes qu’elle a mobilisés ont porté le regard sur ceux produits par la modernité. Beaucoup d’entre eux correspondent à ce que Jean VIARD qualifie de « non-lieux », c'est-à-dire des espaces anonymes où les êtres humains ne se rencontrent pas, s’ils peuvent s’y croiser, où l’on est bien en peine de trouver des références sociales communes
Parmi ces non-lieux, il en est qui ont perdu ou risquent de perdre leur identité, parce qu’ils grandissent trop vite, par accumulation d’objets disparates, par succession de chocs, de blessures, de cicatrisations inachevées. Ils donnent l’impression d’être le résultat involontaire de cette accumulation, de cette succession, et non le produit de quelque construction sociale que ce soit. Ce sont ceux que Guillaume GREFF est allé photographier en Ligurie.
D’autres espaces sont des non-lieux pour des raisons différentes, presque inverses. Ils sont le pur produit de la société dans ce qu’elle a de plus abstrait. Personne ne peut y être, ne peut s’y sentir chez soi. Les ronds-points, ces îles inaccessibles, entourées de tous côtés par des voies rapides en guise de bras de mer. Leur aménagement est soigné, voire luxueux. A qui sont-ils ? Pour qui ce soin, ce luxe, dont Emilie VIALET nous montre la glaciale solitude, la vanité sans doute ?
Il revient aux artistes de nous alerter sur ces réalités, pour que peut être notre sur-modernité, pour employer un autre terme de Jean VIARD, et les paysages qu’elle produit, parviennent à se ré-apprivoiser mutuellement.
Texte : © François Letourneux, président du comité français de l'UICN
Vignette : © Emilie Vialet