© Norbert Ghisoland
Aucun sourire. Les regards sont directs, fixes et sans détour. Implacables. Les émotions sont fortes. Norbert Ghisoland, un artisan modeste ou un photographe de studio à succès. Plus de 90000 plaques de verre. Tantôt des portraits de femmes, de jeunes mariés et de nouveaux-nés, tantôt des enfants déguisés, des hommes et des familles pluri-générationnelles de mineurs. 90000 plaques dont 45000 existent encore et dont une sélection éloquente nous parvient aujourd’hui. Nous sommes dans le Borinage, un ancien site minier belge dans la province de Hainaut. Réalisés entre 1914 et 1935, ces photographies posées et rêvées, brossent le portrait de toute une population et de la classe ouvrière et témoignent d’une condition sociale.
S’ensuivent des images qui dévoilent des pensées silencieuses et reflètent des sentiments impénétrables. Des parents et leurs enfants, enfants modèles ou galopins directement sortis des pages d’un livre, une fille sur un cheval à bascule, un pierrot et un petit soldat de fortune, un boxeur en plein élan, un petit garçon et son chien, un grand-père qui tient la main de son petit-fils, des frères, des sœurs, des amis. Modestes et fiers, ils passent un à un. Ils posent chacun à leur tour. Et le temps d’une prise de vue, ils s’offrent l’image d’une autre vie, d’un autre temps. Répondant à une cohérence formelle, l’ensemble de la série suit le même protocole. Endimanchés, costumés et déguisés, chaque personne se détache sur un fond peint baroque et onirique, un faux décor romantique et champêtre qui, sans contexte, nous rappelle le portrait pictural traditionnel. Nous ne sommes plus dans la réalité, nous invoquons l’artifice et l’imaginaire. Les personnes prennent la pose. Imparables. Figés et distanciés.
Aussi différentes et nombreuses qu’elles soient, toutes ces photographies s’imposent. Intenses, humaines et symboliques. Elles nous donnent à voir des corps, des portraits mis en scène, où la misère se conjugue avec la fantaisie et le plaisir, mais aussi la souffrance et le désespoir. Ce sont toutes les couches sociales qui viennent se faire tirer le portrait ; figer un souvenir, garder la trace d’un moment particulier, créer une image et se révéler dans un langage poétique. Les lumières sont douces, les contrastes nets. Les portraits se réalisent dans une atmosphère veloutée quasi haptique qui s’oppose aux expressions dures, tristes et nostalgiques que trahissent tous ces regards. Le mystère perdure et le rêve émane des images.
Au-delà de l’intérêt sociologique et historique, les photographies manifestent une grande finesse psychologique au travers de laquelle le spectateur surprend un dialogue intime et muet entre le photographe et son modèle. Entre conditions de vie et aspirations, les visages se donnent à lire. S’apparentant à un petit théâtre pour de la photographie et des portraits illusoires, le studio de Norbert Ghisoland devient un lieu de passage incontournable. Comme une évasion d’un quotidien, comme un rêve qui deviendrait réalité, les images laissent la part belle aux sensations. Si proches et à la fois si loin de nos sphères, ces portraits atemporels ouvrent les portes de nouveaux horizons. Barbara Hyvert
© Texte : Barbara Hyvert