L’échaudoir de la rue Sauval, 1968. © Atelier Robert Doisneau
Hôtel de ville - Paris 5, rue Lobau 75004 Paris France
Avant la célébration du centenaire de la naissance de Robert Doisneau, l'Hotel de Ville de Paris présente, dans une exposition gratuite, 150 des milliers de photographies du porte-étendard de la photographie humaniste sur les Halles.
Doisneau a en effet suivi la mutation des Halles, ce marché permanent au coeur de Paris, depuis les années 30 jusqu'à la destruction des pavillons Baltard en 1971. Il donne à voir un monde en fourmillement permanent où se côtoient commerçants, bourgeois, badauds, artisans, manutentionnaires, qu'il photographie souvent aux premières heures du jour : «Avant d’aller travailler très tôt, je cavalais aux abattoirs de La Villette, une fois par semaine, je m’imposais de me lever à 3 heures du matin pour aller aux Halles», témoigne le photographe, dont les deux filles gèrent aujourd'hui, via l'atelier Robert Doisneau, l'héritage de plus de 450 000 négatifs.
Au delà du caractère nostalgique de ces images documentaires ressortent des portraits mystérieux et gouailleurs, à la limite du film noir, et plus graphiques qu'attendus dans ses clichés en couleur. Attentif aux métiers, jamais distant ou sarcastique, Doisneau magnifie ses personnages pour en faire les héros du ventre de Paris, les gardiens d'un monde oublié qu'ils ont porté à la force de leurs bras. Physique, vif, agité, c'est le coeur de la capitale avant le trou des Halles dans les années soixante-dix : l'Hotel de Ville a bien compris la puissance humaniste de ces images et ouvre, en fin d'exposition, sur les projets architecturaux de la ville de Paris concernant les plans de transformation des Halles, sans doute pour leur infuser cette jovialité qu'on dirait disparue et dont Doisneau a revêtu le peuple des petits parisiens, cette France qui se lève tôt d'une autre époque, probablement avec autant de difficultés qu'aujourd'hui, mais drapée ici d'une aura bucolique. La force de l'exposition est d'avoir choisi, plutôt que de se reposer sur le charme de ces images, d'utiliser la masse de documents produits par Doisneau, le montrant comme un observateur boulimique d'une époque révolue.
Antoine Soubrier, le 28 février 2012.
Parmi les nombreuses photographies que Robert Doisneau a consacrées au quartier des Halles de 1933 à sa mort, 208 tirages, pour la plupart vintages, seront présentés au public. Une salle est consacrée aux photographies en couleur des années 1960, permettant un regard nouveau à la fois sur les Halles et sur l’œuvre de Doisneau.
Achevés en 1866, les pavillons de l’architecte Victor Baltard accueillent les Halles de Paris et leur incessante activité d’échange et de commerce. Au milieu du xxe siècle, plus de 5 000 personnes travaillent aux Halles : commerçants, cafetiers, journaliers, et bien évidemment les célèbres « forts des Halles », capables de déplacer sur leur dos une charge de 200 kilos.
Robert Doisneau prend sa première photo dans le quartier des Halles en 1933, Les filles au diable, au pied de l’église Saint-Eustache. Il restera fidèle au quartier pendant 40 ans, revenant sans cesse visiter ce lieu, prendre son pouls, fixer sur le négatif les évolutions et les nouveautés. Pierre Delbos, un ami du photographe, témoigne : « Ce qui me surprenait, c’était de voir ces gens aller vers lui, il n’avait même pas besoin de les solliciter ! L’accueil aux Halles était extraordinaire, il y avait une ambiance fabuleuse et lui, il avait du flair, vous auriez vu sa façon de les regarder, il les aimait ! Pour nous les Halles c’était spécial, il y avait un esprit qui était en phase avec celui de Robert ! »
Sous-sol aux Halles, 1968. © Atelier Robert Doisneau
Dans les années 1960, les Halles sont menacées. On leur reproche leur inadaptation à la vie moderne : surface trop limitée par rapport aux besoins d’une capitale en expansion, insalubrité, extrême densité. Robert Doisneau, inquiet et en colère, entreprend de venir une fois par semaine se plonger dans leur tourbillon pour tout voir, tout vivre, tout photo- graphier. « Je me levais donc à 3 heures du matin, à Montrouge, pour me rendre là-bas, parmi les travailleurs de l’aube, ceux qui déchargeaient les camions, ceux qui mettaient la marchandise en place. Difficile à photographier : manque de lumière, réflexes ralentis par la fatigue, tellement d’images possibles ! Et puis c’était intimidant. Mais je me suis accroché. Je savais que cela allait disparaître. Je voulais absolument en fixer le souvenir. »
Son regard, à la fois esthétique et sociologique, se fait patrimonial. Il enregistre tout : la destruction des pavillons en 1971, les différents états du « trou », le chantier de reconstruction. Il va jusqu’à Rungis, pour comprendre et voir ce que ses amis sont devenus, et ne peut que constater la disparition, dans un univers de béton, de ce qui faisait l’esprit des Halles parisiennes.
Vidés de leur activité de destination, les pavillons Baltard et leur magnifique architecture métallique sont menacés : infatigable, Robert Doisneau photographie les arcs, les entrelacs, les transparences. Ces images constituent aujourd’hui un témoignage précieux sur ce patrimoine disparu.
Triporteur aux Halles. © Atelier Robert Doisneau
L’histoire du quartier continue et l’exposition sera suivie de la présentation du projet de demain, avec le nouveau jardin proposé par Seura Architectes et la Canopée conçue par Patrick Berger et Jacques Anziutti Architectes, lauréats du concours international d’architecture pour le réaménagement des Halles de Paris.
Vignette : L’échaudoir de la rue Sauval, 1968. © Atelier Robert Doisneau