Graciela Iturbide (née en 1942) est aujourd’hui l’une des grandes figures de la photographie mexicaine et de la scène internationale (elle a reçu en 2008 le prix Hasselbald). Toute découverte de ses images, tout examen de ses nombreux livres se traduisent par l’étonnement devant un univers poétique qui paraît à la fois transcrire une réalité proprement mexicaine, et évoquer des lieux mythiques ou des temps immémoriaux. D’abord étudiante en cinéma, elle vient à la photographie vers 1970, à l’Université Nationale de Mexico, devenant bientôt l’assistante de Manuel Alvarez Bravo. C’est dans les années 1980 qu’elle prend le parti d’une oeuvre très personnelle qui s’éloigne du photojournalisme en vogue, et recherche les étrangetés de son maître Alvarez Bravo dans les rites sociaux ou les traditions très rurales. Avec son reportage Juchitan de las Mugeres (1979-1986), Graciela Iturbide découvre son terrain de prédilection, la place de la femme dans la société mexicaine, son rôle de gardienne des significations rituelles, de passeur des mystères cérémoniels, aussi bien que d’organisatrice du quotidien. Cette attention exigeante d’une femme pour les femmes, n’éloigne pourtant pas Graciela de la ruralité, des situations prosaïques, dans lesquelles elle puise, avec une étonnante virtuosité, des surgissements déconcertants ou saugrenus (femme-ange avec radio-transistor), des apparitions lunaires sur le théâtre du quotidien. A la différence de ses confrères masculins, les frontières l’attirent plus que les villes (le nord du Mexique, sud des Etats-Unis et
leurs déserts) à la recherche de survivances ou d’évocations venues d’on ne sait où ni quand (les indiens Seris du désert Sonora, 1979). Elle s’attache à décrypter le paysage en tant qu’atmosphère plus que lieu naturel, elle associe les animaux au syncrétisme (mexicain) des religions et de la nature (El Sacrificio, 1992, sur le sacrifice des chevreaux), elle sonde les fêtes villageoises où resurgissent des mythes pré-colombiens, les carnavals, les rites de la mort ou de l’adolescence féminine. Elle s’enhardit à tenter les mêmes repérages auprès d’autres civilisations, Espagne, Inde, Madagascar, Etats-Unis. Au-delà du document ou de l’événement, Graciela Iturbide laisse entendre un lyrisme personnel qui déroge à l’objectivité photographique.