Martin Kollar et son art du "rien de spécial" attend l'image qui va surgir n'importe où, n'importe quand, la situation cocasse, absurde que le hasard met sur sa route afin de faire ressortir l'atmosphère particulière du moment. Tout cela pour débusquer des portraits de personnages à l'action indéfinissable, arrêtés dans un temps suspendu, comme si rien d'essentiel était en jeu.
"Je commencerais par quelques interrogations. Comment serait-ce si nous étions nés avec d'autres parents, dans un autre lieu et à un autre moment? Comment aurions nous grandi et que serions nous devenus? Probablement que nous nous sommes tous déjà posés la question de notre détermination et de la fatalité du hasard de notre naissance. Chacun de nous s'est déjà demandé pourquoi il est né ici et à ce moment là.
Voilà les questions qui me tourmentent à une époque où la rencontre avec d'autres coutumes est inévitable, où voyager d'un continent à l'autre est un acte anodin et où beaucoup de mes amis et même ma famille la plus proche – ma soeur et mon frère – vivent avec des compagnons d'origines différentes. Sans parler du contact avec d'autres cultures par Internet et par les médias.
J'aime beaucoup marcher et j'aime aussi beaucoup me déplacer en voiture. Pendant mes voyages, je vois des gens et des bâtiments qui me conduisent toujours aux mêmes réflexions. Pourquoi les gens veulent-ils vivre et travailler justement dans ces bâtiments-là et non dans d'autres ? Quelle est l'histoire de ces bâtiments ? Qui les a conçus ? Qui sont ces personnes ? Qui y est né ? Et pourquoi pas moi ?
Il y a un mois, j'ai visité Clermont-Ferrand et j'ai été surpris de voir à quel point cette ville ressemble à celle où je suis né. Une ville de taille moyenne située au centre du pays sur un fond de montagnes et dans laquelle il y a une grande usine. Ce qui m'a spécialement frappé c'est qu'au sommet de chaque colline entourant la ville, il y a quelque chose : un émetteur de télévision, un château fort, un téléphérique ou encore de la neige. Exactement comme aux alentours de ma ville natale, Žilina, que j'ai quitté il y a 20 ans, sans ressentir le besoin impérieux d'y retourner.
Mon projet pour Clermont-Ferrand est une série de photo d'une ville où je ne suis pas né, mais où cela aurait théoriquement pu être possible. Je voudrais que mes photos évoquent la vision de quelqu'un qui revient dans la ville où il a grandi, après de longues années passées ailleurs. Je voudrais aussi pouvoir y retrouver quelques traces de mon enfance. Bien sûr que je ne suis pas capable de déterminer exactement cette sensation, je peux seulement la dépasser légèrement et essayer de ne pas trop m'en éloigner.
Rien de sentimental ne devrait se trouver dans mes observations et dans mes comparaisons ; bien au contraire puisque j'ai grandi dans une autre culture et même sous un autre régime politique. Cette série de photos est alors l'histoire d'une ville, de ses habitants et de ses environs. Les photos sont des confrontations et des observations de mes impressions vécues et oubliées depuis longtemps et de mes rencontres avec des gens ressemblant ou non à ceux que j'avais déjà rencontrés."
Martin Kollar