© André Lejarre
«Représenter l'Afrique autrement, à l'opposé de Tintin au Congo, à l'opposé du road-movie, à l'opposé d'une Afrique pittoresque, violente ou aimable, à l'opposé de l'Afrique qui nous est continuellement montrée dans les médias, violente, barbare, théâtre de guerres civiles et de massacres.
Ndioum est un village du Sahel, au bord du fleuve Sénégal. J'ai commencé à le photographier voilà 25 ans, en privilégiant l’image en noir et blanc de la vie quotidienne, les villageois et leur façon d'être ensemble, la vie paysanne, les travaux et les jours... J'y retrouvais la lenteur paysanne de mon enfance dans le Loiret.
J'ai découvert au fil des ans une société tout entière tournée vers la qualité des relations entre ses membres. Mes gadgets d'occidental y étaient lourds d'incongruité. En une génération, le village a beaucoup changé : grâce à des financements de la CEE, on y a construit un hôpital. Les villageois émigrés en France ont créé une association qui a financé la construction d'un collège. L'électricité est arrivée au village, des puits ont été creusés dans la partie du village où j'habitais. Auparavant nous buvions l'eau du fleuve. Un immense périmètre irrigué a été créé, permettant la récolte du riz. Lors de mon séjour à Ndioum en 1994, j'ai assisté à la première récolte de riz ; bonheur des villageois devant la moissonneuse-batteuse ; bonheur des familles sur les petites charrettes à cheval revenant au village, chargées de sacs de riz.
Ces photographies montrent en partie la vie de ce village, grandeurs et misères, la beauté des femmes et des hommes et les gradations des couleurs sur leur peau, une certaine façon d’être ensemble, Elles témoignent poétiquement de la sensualité d'un monde paysan ou la parole est reine. Le texte assez grave de Boris Boubacar Diop, sous forme de conte, donne la parole à ces moments de la vie de tous les jours.
Ce livre se veut un hommage à une Afrique vivante, digne, avec son goût de la parole, sa relation si particulière au temps, et sa culture orientée vers le vivre ensemble d’une société qui fonctionne à sa manière et à ses rythmes et qui pourrait atteindre à une relative autosuffisance.
En arrière plan de ces photographies, il y a la rencontre que je fis des travaux de Cheikh Anta Diop1. La découverte que j’y fis que les premiers pharaons étaient noirs, et que les cultures noires sont les héritières de la grande civilisation égyptienne, les langues de l’ouest africain descendant de l’égyptien des hiéroglyphes comme notre langue descend du latin et du grec, m’a bouleversé. Pour moi, ayant grandi devant les cartes du monde dessinées pendant la colonisation, Il allait de soit que, même si les premiers homo sapiens étaient nés en Afrique noire, mes ancêtres en culture étaient comme moi, donc avec la peau blanche. Blancs étaient les Romains, blancs étaient les Grecs, blancs étaient donc les Egyptiens, – peut être un peu brunis par le soleil de l'Afrique –, les Noirs ne pouvant être que sur les bas côtés de la grande marche des hommes vers le savoir et la « civilisation ». Oui, cette histoire écrite m’a bouleversé et inspiré.
La dernière photographie du livre a été prise à Saint-Louis-du-Sénégal, tout au bout du fleuve, juste à l’embouchure avec la mer. Les femmes y attendent le retour des pêcheurs. D’une de ces plages d’Afrique, au début du XIVe siècle, sont parties deux cents pirogues pour traverser l’océan. Le roi noir Aboubakr II était sûr qu’il y avait une autre terre de l’autre côté de l’océan, il suffisait de « suivre le fleuve qui coule dans la mer ».
On dit qu’une seule de ces pirogues revint, ses marins racontant la présence d’une terre à l’autre bout de la mer. En 1312 Aboubakr II décide de tenter lui-même l’aventure et affrète deux mille pirogues. Aucune ne revint jamais.»
André Lejarre
Africaine
Ndioum, au bord du fleuve Sénégal. Photographies d’André Lejarre. Texte de Boris Boubacar Diop.
Nouveauté 2011 CREAPHISEDITION.
Vignette et images © André Lejarre