Keep Border (texte: Stéphan Levy-Kuentz), éditions chez Higgins
C’est une frontière horizontale entre air et eau, un miroir intemporel parfois frémissant partagé entre visible et invisible, une mer sans marée.
Tels des icebergs, ainsi surgissent les Titans. Défiant notre regard venu d’un littoral qui n’apparaît jamais, leur mobilité est reptilienne. Cerbères remontés des fonds marins, ils passent et repassent dans leur ronde statique, nous ont à l’œil. Parfois aussi, simulent le détachement, nous envoient des signes volontaires ou apaisants.
Apparitions iconoclastes, noyaux du monde liquide, ces créatures aquatiques contrôlent des territoires indéterminés. Hantent-ils l’Achéron, le Dieu-fleuve des Enfers ? Non, aucun passeur aux alentours pour franchir, se franchir, se mouiller. Une tête masquée, un bras, deux mains suffisent à déployer leur vocabulaire chorégraphique. Parfois menaçants, parfois désinvoltes, ces hommes-anaconda habitent la surface de leur empire dans des ballets synchronisés par lesquels, mystique et musculaire, leur langage signalétique déploie une chorégraphie de l’entre-deux.
© Lionel Bayol-Thémines
Dans cette nage gestuelle et codifiée, de quel passage symbolique ces agents de la circulation de notre territoire sont ils les douaniers ? Garde-côtes de l’inquiétude, surveillent-ils la terre ferme ou le grand large ? Protègent-ils le sol imaginaire qui nous porte afin de nous préserver ou font-ils le guet pour contrôler notre liberté de fuir ? La lecture est à double sens. Par leurs messages et leurs simagrées, essaient-ils de nous séduire, de nous attirer vers le fond ? Nous préviennent-ils au contraire d’un danger imminent ? Entre sortilège et enchantement, personne ne semble se risquer à s’immerger dans leur art de la divination.
Qu’advienne ou non l’événement attendu dont ils sont les vigies, ne leur reste pour l’instant qu’à se guetter eux-mêmes.
Stéphan Lévy-Kuentz