© Sabine Delcour
Galerie du Théâtre La passerelle 137 boulevard Georges Pompidou 05010 GAP France
L’épreuve du temps marque les photographies que Sabine Delcour a rapportées de la montagne des Ecrins et du Queyras. Le temps mesuré de sa propre itinérance y côtoie celui, géologique et infini, de l’érosion. La notion d’« épreuve » éclaire l’œuvre de cette artiste du paysage, qu’une sorte d’inconscience citadine et une farouche volonté jettent sur les sentes les plus incertaines de la haute montagne, entre 2000 et 2800 mètres d’altitude. Epreuve, du latin probus, de probhos, « qui pousse bien droit », rime avec montagne. Cette dernière n’est-elle pas poussée verticale de l’écorce terrestre ? N’éprouve-t-on pas, à la fréquenter, souffrance, peine, mais aussi désir de résistance et d’aventure périlleuse, d’adversité, de passage obligé pour parvenir à ? Dans le champ de l’art, une épreuve est par exemple le tirage d’un négatif couleur.
Le sentiment du paysage dans la conscience occidentale est né d’un déplacement : celui de Pétrarque parvenu, le 26 avril 1336, au sommet du Mont Ventoux, dominant alors du regard la totalité azurée, ordonnée et concentrique de la terre. Sabine Delcour, du Mont Pelvoux, a rapporté des prélèvements, répondant à l’appel visuel d’une combinaison de neige et de roche, de vide et de lumières, d’herbe roussie et de glace. La progression en itinéraire improvisé et terrain instable est vacillante et l’équilibre précaire. Balises capricieuses, les convulsions et l’éparpillement de la roche, les ruptures de pentes et les nappes d’éboulis fuient le droit chemin. Ce parti se traduit, au sein de l’image, par la présence de tensions et d’une mise au point dévoyée. Si Sabine a compris que la montagne se mérite, notre œil comprend très vite que ses montagnes photographiées se méritent tout autant. Par le jeu combiné de la bascule horizontale et de la profondeur de champ, elle trace de bas en haut une sente de haute précision à travers chaque image. Il faut s’accrocher ferme et plisser les yeux pour ne pas la perdre. Ce chemin-là est une illusion qui n’a de réalité que dans l’image.
A arpenter sa Moraine du Glacier Noir, le regard pensif est confronté à la nature seconde de la montagne, énigmatique et chimérique. L’œil intérieur en appelle aux images latentes, remontées des pans d’ombre ou des peurs primitives que chacun porte en lui. L’impossible sentier se mue en une échine animale où vient se greffer le déploiement zoomorphe d’une ombre portée. Difficile de ne point penser aux dragons reptiliens de la peinture chinoise, ou à ceux, sataniques, de l’iconographie chrétienne. Les choix photographiques ont ici repoussé les limites de l’espace tangible pour ouvrir d’autres pistes, celles d’un « espace tramé d’inconscient » 2 pourvoyeur d’imprévisibles interprétations de la matière minérale.
Sabine Delcour restitue en ces extraits l’expérience du voir en terre hostile.
Hélène Saule-Sorbe, Professeur d’Arts plastiques, Université Michel-de-Montaigne – Bordeaux 3