Vendredi 03 Août 2012 15:13:22 par actuphoto dans Livres
Le livre de l'exposition organisée au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux (23 sept.-20 nov. 2005) par les éditions Le Festin.
Événement : pour la première fois, une institution bordelaise rend hommage au peintre et photographe Pierre Molinier. Il faut dire que, depuis la présentation de sa toile Le Grand Combat au Salon des Indépendants Bordelais, en 1951, qui déchaîna les passions, le sulfureux « petit diable » n'a cessé de défrayer la chronique locale. Repéré par André Breton qui lui reconnaît un « pouvoir magique », Molinier abandonnera ensuite ses pinceaux pour transfigurer ses obsessions les plus intimes dans des photomontages devenus légendaires. L'autoportrait, l'autoérotisme, le travestissement, les jambes, les poupées, font partie de ses tropismes les plus fameux.
De Molinier aux artistes du corps, du genre, du transgenre...
En même temps que se tient l'exposition bordelaise, la parution du livre - catalogue "Pierre Molinier –Jeux de miroirs" vient rappeler le rôle et l'influence, longtemps mésestimés, qu'a exercé ce créateur polymorphe auprès des nombreux artistes qui ont élu le corps comme sujet de leur démarche et objet de leurs expériences. Car Molinier le Bordelais n'est pas isolé. De Man Ray à Matthias Hermann, ils sont en effet légion à avoir abordé les territoires des « autres genres »: Kader Attia, Olivier Blanckart, François Burgun, Olivier Caban, Claude Cahun, Luciano Castelli, Éva et Adèle, Philippe Faure, Joël Garrigou, Matthias Herrmann, Michel Journiac, Jürgen Klauke, Fred Koenig, Rachel Laurent, Karl Lakolak, Urs Lüthi, Christopher Makos, Man Ray / Marcel Duchamp, Robert Mapllethorpe, Yasuma Morimura, Pierre et Gilles, Cindy Sherman, Alberto Sorbelli, George Tony Stoll, JeanFrançois Texier, Jean-Luc Verna, Andy Warhol.
Textes de :
Olivier Le Bihan, Musée des beaux-arts de Bordeaux
Francis Maugard
Pierre Chaveau
Table
- En attendant le printemps... par Dominique Cante, Musée des beaux-arts de Bordeaux
- Pierre Molinier, en marge du surréalismepar Dominique Dussol, Université de Pau et des Pays de l'Adour
- Petite histoire du photomontage par Hélène Saule-Sorbé, Université de Bordeaux III
- Photomontage et art tantrique. De l'art du photomontage considéré comme une tauromachie par Françoise Garcia, Musée des beaux-arts de Bordeaux
- La subversion esthétique des genres par Marc-Louis Bourgeois, Université de Bordeaux II (programme TransGender)
- Revoir Molinier de fils Queer paré : Un artdu sexe comme performance et feu d'artifice par Bernard Lafargue, Université de Bordeaux III
- La peinture et ses doubles: Molinier, Castelli, Lakolak, Herrmann par Lydie Pearl, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III
- Pierre Molinier entre autre(s) genre(s) Matthias Herrmann: quel animal sexuel êtes-vous? par Mike Yve, Musée des beaux-arts de Bordeaux
Extraits :
La «féminisation» de l'art contemporain
Marcel Duchamp (Blainville, Seine-Maritime, 1887 – Neuilly-sur-Seine, 1968) est parmi les premiers artistes à «changer de sexe» en 1919/1920 en se constituant un alter ego féminin, la fameuse Rrose Sélavy. Il pose, travesti en son double, sous l'œil de l'ami et complice Man Ray (né Emmanuel Rudnitsky, Philadelphie, 1890 – Paris, 1976) immortalisant la naissance de ce double féminin / érotique dont le pseudonyme est un jeu de mots : «Rose c'est la vie» ou «Eros c'est la vie». Cette attitude engagée, qui consiste à se travestir, à adopter un pseudonyme à consonances féminine et juive, ouvre une voie nouvelle et libertaire qui trouve un écho aujourd'hui dans les œuvres contemporaines. Cette voie est celle de la «féminisation de l'art», peut-être même d'un «devenir androgyne de l'art». Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé, dans l'ouverture du catalogue de l'exposition Fémininmasculin, Le sexe de l'art (Centre Georges Pompidou, 1994) défendent l'hypothèse de l'apparition d'une généalogie artistique qui se développe en marge «de la tradition classique (...) de la différence des sexes.»Les artistes des années 1990 / 2000 doivent beaucoup à la force et au courage de leurs prédécesseurs Marcel Duchamp / Rrose Sélavy, Claude Cahun et Pierre Molinier, figures désormais emblématiques des courants «transgenre». Avec les travestissements de ces artistes, c'est l'art contemporain qui s'ouvre à la féminisation.
[...] Marcel Duchamp / Rrose Sélavy donne naissance à un lignage d'artistes qui mettent à mal les clivages traditionnels des genres féminins et masculins: Claude Cahun, Pierre Molinier, puis Michel Journiac, Luciano Castelli, Jürgen Klauke, Urs Lüthi et plus tard Matthias Herrmann, Yasumasa Morimura, Jean-Luc Verna... Tous refusent le dogme freudien d'une anatomie destinale et déconstruisent le clivage des sexes dans des configurations artistiques positionnées «au-delà de la différence sexuelle». Pour brouiller la frontière entre les genres les artistes se parent de masques, se travestissent, mettent en scène les fétiches vestimentaires en les détournant. Lucy Schwob adopte aussi, dès 1919 (et définitivement), un pseudonyme: Claude Cahun (Nantes, 1894 – Paris, 1954), choisi pour être unisexe. Son nouveau prénom est volontairement indéterminé. L'artiste cherche (elle aussi) la reconnaissance des surréalistes (elle les rejoint en 1925). Elle revendique un art «androgyne»qui suggère une stratégie de reconnaissance autant qu'un choix esthétique.[...]
Une esthétique de l'indétermination
Dans la ligne de Pierre Molinier, les artistes contemporains s'inspirent du trouble originaire de l'être sexué. Ils opèrent une dissolution des frontières séparant les genres, révèlent à quel point nos sens sont mutilés, à quelles pressions émises par la société notre corps est soumis. Tous pratiquent l'ouverture d'une brèche dans l'expression vive du désir et / ou remettent en question les différences sexuelles, ils facilitent l'approche sensible en même temps que la compréhension psychologique des intersexualités. Les artistes contribuent largement à la contestation des statuts masculin et féminin, en ces temps où le trouble des identités se révèle publiquement. La contestation passe par des combinatoires telles que la quête androgynique de l'autre dans le même, de l'autre dans le différent, de l'autre dans l'indéfini etc. Toute déclinaison qui permet à la nature androgyne de se réaliser et de s'épanouir est aujourd'hui possible, l'imaginaire des artistes et leurs caricatures déconstructives des genres contribuent aux nouvelles formulations identitaires. Anti-discriminatoires, les œuvres désignent toutes les inclinations de l'individu. Il y a aujourd'hui une nouvelle construction symbolique de la question du sexe qui rappelle que la différence des sexes n'est pas une loi de la nature. [...] Les retournements des codes de la photographie et de l'imagerie publicitaire (Matthias Herrmann) ou cinématographique (Yasumasa Morimura, Cindy Sherman), les jeux de travestissements queeren tous genres (Eva & Adèle, François Burgun, Fred Koenig), les prises de risques du côté de l'obscène et du grotesque, les remix des icônes de la «féminisation de l'art»(Olivier Blanckart, Rachel Laurent, Jean-luc Verna), l'élévation au rang d'art noble des catégories traditionnellement dévaluées que sont le kitsch et l'érotisme (Pierre & Gilles, Karl Lakolak), l'intégration d'un tabou comme la prostitution dans les questionnements légitimes de l'art (Alberto Sorbelli, Kader Attia) sont autant de forces identitaires vives désormais visibles dans le champ de l'art contemporain.
Mike Yve, commissaire d'exposition.
Prix : 25 € +3 € de frais de port
176 pages
14 x 22 cm
ISBN: 2-915262-25-X
Diffusion-Distribution : Le Festin
Bâtiment G2
1, quai Armand-Lalande
33300 Bordeaux
Tél. : 33 (0) 5 56 69 72 46
Fax : 33 (0) 5 56 11 01 29
le.festin@wanadoo.fr
Voir l'annonce de l'exposition sur Actuphoto: http://www.actuphoto.com/page.php?page=pronews/news_complete&id=1978