© Diane Arbus, Santas at the Santa Claus School, Albion, NY, 1964
Jeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France
Diane Arbus. Un des rares noms de la photographie à évoquer quelque chose au grand public et à inspirer des biopics romancés au cinéma (Fur, avec Nicole Kidman : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=59947.html). Une icône, mais surtout un mythe étrange et torturé, où la photographie joue le rôle d'une baguette magique.
Du 24 janvier au 5 février 2012, nocturne jusqu'à 21h tous les jours sauf lundi.
S'attardant sur des sujets inattendus, et brisant en cela l'orthodoxie de la photographie commerciale qui l'entourait, Diane Arbus en dit au moins autant sur ses doutes et ses zones d'ombres que sur ceux des gens qu'elle prit en photo entre 1945 et 1970 aux Etats-Unis ; trisomiques, travestis, nudistes, familles fauchées, familles bourgeoises, célébrités, artistes… Qu'il se pose sur des marginaux ou sur des membres de la middle-class lambda, le regard de la photographe est habité par une recherche continue de la singularité de ses modèles, fil conducteur qui émerge comme une évidence de cette sélection immense (200 images).
L'exposition du Jeu de Paume, première rétrospective française, donne largement à voir cette obsession qu'on sent en résonance avec les questionnements de la photographe, elle-même issue d'un milieu bourgeois : comment assumer ses particularités, qu'est ce qui nous distingue ? Au milieu d'images célèbres - le garçon à la grenade de Central Park, la série sur les trisomiques, certains clichés de travestis ou de nudistes - on découvre un Marcello Mastroianni plus mélancolique que jamais, comme posé sur le lit de sa chambre d'hôtel, un groupe de pères Noël en formation à l'école des Pères Noël d'Albion, NY, un intérieur petit-bourgeois où le sapin et les cadeaux dégoulinent du plafond comme une mauvaise fuite. Rarement l'humanité aura tant ressemblé à une parade tourmentée, bouillonnante de visages différents, fiers et sales.
Diane Arbus elle-même, malgré la rareté de ses interventions publiques, a longuement détaillé son travail et ses impressions dans des journaux intimes (dont un condensé est publié à cette occasion par la Martinière, document le plus intéressant des livres ressortis sur le sujet). Elle n'a cessé d'évoquer le "mystère" de la photographie et son impression, à mesure qu'elle approchait et rencontrait ses modèles, qu'un portrait ne pouvait en dire beaucoup sur l'énigme de leur individualité. Le Jeu de Paume semble s'être plié à cette intuition en organisant l'exposition sans réel parcours, ni chronologique ni thématique. C'est peut-être regrettable ; ce qui fascine chez Diane Arbus, c'est probablement son trajet personnel et le fait que la photographie l'ait armé pour lui permettre d'explorer des portions inconnues du monde. Chacun peut se reconnaitre dans ses errements, ses hésitations, sa recherche d'inspiration auprès de mentors comme Lisette Model, ses sursauts de courage. Un parcours chronologique, tant la vie de la photographe confine au roman, aurait sans doute fait sens.
Au lieu de ça, et sans doute parce que l'incroyable film A Slideshow and Talk by Diane Arbus (1970), diaporama issu d'une captation de cours donné à l'école de Rhode Island, n'est pas diffusé au public pendant l'exposition, domine parfois une impression de lourdeur, comme si tout était fait pour rendre la figure fragile de Diane Arbus hiératique et inaccessible et confirmer son statut incontournable. Une citation de la photographe issue d'une lettre à l'occasion de sa première exposition au MoMa de New York en 1967, donne pourtant une idée de la fraicheur de l'artiste :
«Il y a en moment une exposition… trente de mes photos au Musée d'Art Moderne. J'ai hâte que tu vois ça. C'est si beau, le tout dans une salle splendide et des gens qui les regardent fixement, des centaines d'étrangers, comme s'ils lisaient. Je reste là pendant des heures à regarder les photos et à écouter ce qu'ils disent.»
Avec cette exposition, Diane Arbus entre au Panthéon, et on ne peut que se réjouir de voir consacrée l'audace de la photographe. Mais un parcours plus travaillé aurait peut-être mieux restitué la personnalité de l'artiste.
Antoine Soubrier, le 4 novembre 2011.
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Diane Arbus a révolutionné l'art de la photographie.
L’audace de sa thématique, aussi bien que son approche photographique ont donné naissance à une œuvre souvent choquante par sa pureté, par cette inébranlable célébration des choses telles qu’elles sont. Par son talent à rendre étrange ce que nous considérons comme extrêmement familier, mais aussi à dévoiler le familier à l’intérieur de l’exotique, la photographe ouvre de nouvelles perspectives à la compréhension que nous avons de nous-mêmes.
Arbus puise l’essentiel de son inspiration dans la ville de New York, qu’elle arpente à la fois comme un territoire connu et une terre étrangère, photographiant tous ces êtres qu’elle découvre dans les années 1950 et 1960. La photographie qu’elle pratique est de celle qui se confronte aux faits. Cette anthropologie contemporaine – portraits de couples, d’enfants, de forains, de nudistes, de familles des classes moyennes, de travestis, de zélateurs, d’excentriques ou de célébrités – correspond à une allégorie de l’expérience humaine, une exploration de la relation entre apparence et identité, illusion et croyance, théâtre et réalité.
Au cours de sa carrière qui n'a guère duré plus de quinze ans, elle a produit une œuvre qui, par son style et son contenu, lui vaut d'être considérée aujourd'hui comme l'une des photographes les plus importantes de notre temps, y compris par l'influence qu'elle continue d'exercer. « Je vois quelque chose qui semble merveilleux ; je vois la divinité dans des choses ordinaires ».
© Diane Arbus, Enfant avec une grenade en plastique dans Central Park, New York 1962
Five Members of the Monsters Fan Club (détail), © Diane Arbus Estate
Assemblage des photographies affichées sur le mur de Diane Arbus
Le Jeu de Paume présente la première rétrospective consacrée à l'artiste en France. Avec plus de deux cents clichés, elle permet de découvrir la source, l’étendue, mais aussi les aspirations d’une force parfaitement originale dans l’univers de la photographie. Y sont présentées toutes les images emblématiques de l’artiste, ainsi qu’un grand nombre de photographies qui n’ont à ce jour jamais été exposées en France. Les premières œuvres, délà, témoignent de la sensibilité particulière d’Arbus, au travers de l’expression d’un visage, de la posture d’un corps, du type de lumière ou de la présence particulière des objets dans une pièce ou dans un paysage.
Animés par la relation singulière que tisse la photographe avec son sujet, tous ces éléments se conjuguent pour inviter le spectateur à une rencontre véritablement intime.
Vignette: © Diane Arbus, Santas at the Santa Claus School, Albion, NY, 1964