Berger peul, fleuve Niger, 1997 © Bernard Descamps
Box Galerie 102 chaussée de Vleurgat 1050 Bruxelles Belgique
« Je suis à l’aise avec la photographie, je comprends sans problème sa chimie, et la technique ne m’a jamais effrayé. Je développe, je tire mes photographies, j’aime le labo. Ce n’est pas l’art pour l’art qui m’intéresse, mais la photographie comme un art de vivre, un prétexte pour croiser des inconnus et être dans des endroits incroyables. Je me suis jeté dans la photographie, je me suis immergé dans l’art, j’ai testé le conceptuel, j’ai lu William Burroughs, j’ai chanté Bob Dylan, j’ai goûté au surréalisme, c’était génial. Toute ma vie, je me suis amusé. Beaucoup de gens disent ça, mais moi c’est vrai ! »
«Je ne me sentais pas prêt pour l’Afrique noire, alors j’ai choisi le Sahara. Je ne voyage pas pour voyager, j’ai toujours un projet photographique, d’ailleurs je ne me considère pas comme un voyageur. Je ne prépare rien, je ne lis aucun guide, je pars à l’aventure. Et je marche... Lors de mon premier voyage, en solo, j’ai tout photographié : les maisons, les paysages, les Touaregs, le désert. Une centaine de films 24x36. Quand j’y suis retourné, j’ai affiné les formes, je cherchais le minéral. Ces endroits avec une alliance de roches et de sable, ces étendues où il n’y a que l’infini : pas une plante, pas un personnage, pas un nuage. La terre et l’espace, deux constantes dans mon travail. »
« Les Africains ont conservé leurs racines, leurs cultures, ils n’abandonnent pas. Ils ont des valeurs ancestrales, comme le respect de l’autre. Ou le respect de leur territoire, comme les pygmées Aka par exemple, ils ne détruisent pas pour détruire, ils prennent ce qui leur est nécessaire pour vivre. Impossible d’envisager un Peul ou un Berbère ne respectant pas le territoire sur lequel il vit... Je ne parle pas des villes africaines, qui sont l’un des produits de la colonisation.
Je ne photographie que des gens qui ont un rapport avec la terre. Des agriculteurs (Maroc), des éleveurs (Mali), des chasseurs collecteurs (République centrafricaine), des pêcheurs (Madagascar). C’est cette Afrique-là, rurale, que je photographie, celle des gens qui ont les pieds sur leur terre. Je m’y sens bien. »
« À Sendégué, au nord du Mali, un village d’argile perdu dans le delta intérieur du fleuve Niger, le berceau culturel du peuple peul. Trois arbres, de la poussière, du sable. Tout et sec. Et coule ce fleuve sublime, qui ne cesse de bouger avec ces bancs de sable qui rappellent la Loire. Jaune, brun, boueux, sa tonalité change selon les saisons ou les crues. Il y a les oiseaux, les hippopotames, les vaches, les pirogues et, au coucher du soleil, le fleuve se transforme en un miroir de souvenirs fugitifs. Qui renaît chaque matin. »
« Je suis l’homme du noir et blanc, nul besoin de la couleur, elle me gênerait. Le noir et blanc me convient pour traduire la douceur d’un regard, la distinction d’un homme adossé à un baobab, la lumière intense du ciel à Mananjara, au bord de l’océan indien. J’ai toujours aimé les artistes qui font rêver avec trois bouts de ficelle. »
«Pas de drames ni de guerres, je montre une Afrique paisible, entièrement subjective. Tout est filtré par ma sensibilité, je ne suis pas un journaliste, je ne prétends pas témoigner. D’où le titre de ce livre : Quelques Afriques. L’harmonie ? Non, ce n’est pas mon souci. Je surprends des petites choses, des petits riens, des passages et des coins d’ombre ; j’arrête le temps pour mieux voir ce qui se passe. Je suis proche du pêcheur, ça mord – ou pas. Ne pas oublier qu’il y a de l’irrationnel dans la photographie. »
«Au tirage, le photographe est comme le pianiste devant sa partition. Il a une courte latitude pour interpréter. Assombrir, alléger, dramatiser, c’est une vraie création. Moi, pour mon travail, j’adore les nuances de gris, pas la dureté du noir à la Giacomelli. Le cadrage est important. Je ne me fie pas au nombre d’or, je préfère déséquilibrer, je n’hésite pas à couper des têtes. Les confusions visuelles ne me gênent pas, au contraire.
Je me sens proche des photographes des années cinquante, Pierre Verger pour ne citer que lui, même si nous n’avons pas la même façon de cadrer les images. Je suis d’une autre génération. Non, je n’ai pas la tentation de l’exotisme, ça ne sert à rien. »
« Où que je sois, dans le Haut-Atlas comme en Éthiopie, je regarde tout avec les yeux d’un photographe. Quand je photographie, je joue avec ce qu’a déjà vu le spectateur pour qu’il puisse à son tour se glisser dans l’histoire. Un photographe n’a aucun pouvoir absolu, il peut retenir de minuscules fragments du temps passé, quelques éclats, le souffle du vent. Reste à résoudre le mystère de l’image idéale, entrevue mille fois, et que je cherche, inlassablement. »
Propos recueillis par Brigitte Ollier Extraits de l’ouvrage Quelques Afriques (Filigranes, 2011)
Berger peul, fleuve Niger, 1997 © Bernard Descamps