© Jean Depara
Les villes en Afrique des années 1950-70 sortent de la colonisation pour aller avec certitude vers la joie de leur indépendance. Chacun vit ces moments où enfin la modernité du monde est accessible, sans soucis de Blanc ou de Noir. À Léopoldville, devenue Kinshasa, cela passe par l’« American way of life », ses belles voitures et la mode des sapeurs en tenue de cow-boy (Bill ou William Scott), la guitare électrique, le saxo et des musiques qui mêlent rumba congolaise, jazz, highlife, bigband… Les bandes de jeunes Kinois avec chacune un style vestimentaire et leurs muses féminines, fréquentent les innombrables bars-dancings, soutenant un groupe musical. Les athlètes, fiers de leurs corps, paradent devant leurs admiratrices à la piscine du Complexe sportif de la Funa, haut lieu multiracial de détente et de rencontre.
C’est le décor et la vie que nous fait partager le photographe Depara dans chacune de ses images. Et on comprend vite que Depara ne prend que des photos de cœur, où l’on sent la sensualité à chaque regard capturé.
© Jean Depara
Jean Depara rejoint en 1951 la capitale du Congo-Belge, Léopoldville (futur Kinshasa) et vit de divers métiers : cordonnier à l’usine Bata, réparateur de montres et d’appareils photo… Depara est aussi photographe avec son appareil Adox 6x6 acheté à l’occasion de son mariage en 1950.
De jour comme de nuit, de 1951 à 1975, Depara photographie l’ambiance des bars-dancings et des clubs mais aussi les athlètes et les bandes de jeunes sapeurs. La mégapole est alors la ville d’Afrique d’où la musique se propage à travers le continent et le reste du monde. C’est l’ami de tous les musiciens et plus particulièrement de Franco, futur maestro de la rumba zaïroise, qui lui demande en 1954 d’être son photographe attitré. Et c’est le décor et la vie que nous fait partager le photographe Depara dans chacune de ses images. Il court dans ces univers dont il est lui-même l’un des animateurs : avec son appareil, il est là au même titre que les filles, les amoureux épris, les musiciens, les barmaids affriolantes du Kongo Bar ou de l’Opika, du Champs-Elysées ou de La Perruche Bleue.
En 1956, Depara ouvre un studio qu’il nomme avec humour le “Jean Whisekys Depara”, autant pour répondre aux demandes que pour «finaliser» certaines opérations de séduction. Il le fermera en 1966 tant sa vie, son plaisir de photographier passent par l’extérieur avec ses amis, ses copains et ses conquêtes. À cette époque, il vit confortablement, avec voiture décapotable et villa.
© Jean Depara
Dans les années 1970, les temps deviennent plus difficiles. Depara n’aime pas la couleur qui «fait des images sans relief», dit-il. Il n’aime pas les laboratoires photos automatiques qui ont envahi la place avec des prix de plus en plus bas. Et le dilettante qu’est Depara refuse ce combat commercial à la petite semaine. En 1975, période de « Zaïrianisation » du pays, beaucoup d’européens quittent le pays et libèrent des postes. Il devient alors photographe laborantin du Parlement. À 50 ans, une autre vie commence pour Depara. On peut parler de la fin de sa jeunesse : il met sa gentillesse au service du compagnonnage des photographes officiels. Quand Depara prend sa retraite en 1989, il abandonne la photographie.
En 1996, ses photographies sont publiées dans le magazine Revue Noire sur Kinshasa. Il décède une année après, laissant encore danser ses photographies dans le coeur des Congolais et du reste du monde.