© Brassaï
Pavillon Populaire de Montpellier Esplanade Charles de Gaulle 34000 Montpellier France
En 1957, invité par le magazine Holiday qui lui passe une commande photographique et lui donne, pour cela, carte blanche, Brassaï, pour la première fois, visite l’Amérique. Il n’existe pas plus grande disparité entre son territoire parisien, sur lequel il exerce depuis les années 30 son œil de photographe, et la civilisation urbaine américaine à laquelle New York le confronte. Cette différence de culture, de mode de vie, excitent Brassaï. Le voici lâché dans la ville américaine, suivant ses instinct de photographe de rue, conscient des contrastes auxquelles son habituel sens du pittoresque européen le confronte, acceptant cette mise à l’épreuve, au fond bien excitante. Mais Brassaï a le génie de l’adaptation. Il prend vite la mesure de cette formidable culture, toute pleine d’énergie et de surprises visuelles.
Retrouvant son appétit pour la prise d’image, il utilise indifféremment le noir et blanc, et pour la première fois, la couleur et le petit format. Et soudain, le New York de Brassaï se met au diapason de son humour surréaliste, de sa sensualité, de son attrait pour l’imprévisible ou l’élégante beauté des nuits ou des jours de la plus grande métropole américaine, au moment où les années 50 rendent les femmes plus belles, les adolescents plus libres, les couleurs plus acidulées.
© Brassaï - New York 1957
Quittant New York, Brassaï se rend à la Nouvelle Orléans, dans ce territoire louisainais aux réminiscences si françaises. Sa vision y est encore plus sensuelle, et la Nouvelle Orléans de nuit, photographiée par Brassaï, vient faire écho à son Paris des années 30. Le mélange assumé de la couleur et du noir et blanc redouble de façon inattendue son approche d’une ville qu’il perçoit dans sa vitalité et son humidité exotiques. Rarement la cité louisianaise aura donné autant de plaisir à un photographe, conquis par sa chaleureuse et tendre convivialité, sa marginalité aux accents canailles.
Aucune de ces images n’a été exploitée par Brassaï de son vivant. Il rêvait pourtant d’en faire un livre. Autant dire que c’est une découverte totale qui est ici faite, avec 50 images en couleurs et 110 tirages d’époque en noir et blanc impubliés, ce qui est exceptionnel pour un tel artiste. Elles rendent plus compréhensible à la fois l’art photographique de Brassaï , capable de s’adapter aux territoires les plus inattendus, et la beauté fugitive d’une période américaine ouverte aux bonheurs d’une jeunesse épanouie, dans la fraîcheur d’une décennie, celle des « fifties », où tout semblait encore possible.
© Brassaï - New York 1957
Pressé par Julien Lévy de présenter dans sa galerie New Yorkaise six "nocturnes", c'est-à- dire six épreuves de son Paris de nuit , en Mars 1932, Brassaï accepte avant d'expliquer que finalement il n'aura pas le temps d'exécuter les tirages. En fait, encore peu sûr de la qualité de sa création photographique et découragé par la sombre description que l’écrivain Henry Miller, son plus proche compagnon du moment, lui fait de New York, Brassaï se détourne de cette proposition et assume cet acte manqué qui, dira-t-il plus tard, lui aura fait perdre trente ans dans sa carrière d'artiste. En effet, même si Carmel Snow, qui vient de prendre la direction artistique du prestigieux magazine de mode Harper's Bazaar , appuyée pour ce faire par le génie d’Alexey Brodovitch, lui propose un contrat dès 1936, Brassaï ne se rendra aux Etats-Unis qu'en 1957.
Entre temps il aura éprouvé la fidélité et la complicité de plusieurs personnes influentes dans le monde de la création, qu'il s'agisse de Carmel Snow qui va consacrer, pendant plus de trente ans, deux pages mensuelles aux réalisations du photographe - sous réserve d'ailleurs selon les voeux de ce dernier de ne jamais réaliser de photographies de mode - ou Edward Steichen et John Szarkowski avec lesquels va se nouer une longue amitié qui conduiront ces deux conservateurs à présenter deux expositions majeures de Brassaï dans leur institution, Museum of Modern Art de New York : une exposition sur les Graffiti en 1956 et une rétrospective en 1968, notamment.
Après l'accueil triomphal de ses « graffiti » par la critique et le public américains, Brassaï se sent encouragé à franchir l'Atlantique. Aussi lorsque le luxueux magazine Holiday lui propose une carte blanche de plusieurs mois pour photographier, à sa guise, ce qui l'intéresse à New York et en Louisiane, accepte-t-il avec enthousiasme et une pointe d'inquiétude.
© Brassaï
L'exposition que propose en première mondiale le Pavillon Populaire de Montpellier, accompagné d’une publication internationale aux éditions Flammarion, rend compte du travail jusqu’ici pratiquement inédit, effectué lors de ce séjour, et qui présente quelques particularités. En effet, d'un point de vue technique, Brassaï va s'essayer à l'usage du petit format, ce qui le conduira à travailler immergé au milieu de la foule, notamment à New York, pour rendre compte par ses instantanés de cette vie urbaine intense ; il privilégie le travail de jour, fixant un plan avant de se retourner pour suivre les passants, construit des séquences très cinématographiques : de fait, ses photographies se situent à l'opposé des images Paris de Nuit pour lequel il avait l'habitude de fixer longuement la scène en faisant face à ses sujets, les mettant parfois en scène.
Par ailleurs ce séjour va être l'occasion pour lui d'appréhender la couleur, ce qui le conduit à traiter des éléments particuliers : les murs recouverts d'affiches, les signes et néons nocturnes, les fêtes foraines mais aussi les vêtements bigarrés de ces années 50, désormais mythiques. Nul doute que pour Brassaï ce séjour américain n'ait été l'occasion de regarder autrement la ville, tout en restant fidèle à la sensualité de son regard, fasciné par la présence des femmes, et à sa poésie aux accents souvent surréalistes.»
Vignette © Brassaï