© Bogdan Konopka
Galerie du Théâtre La passerelle 137 boulevard Georges Pompidou 05010 GAP France
Un explorateur part en mission dans le pays alpin. Muni d’un appareil grand format et de plans-films noir et blanc, il arpente Gap, la ville où il réside, pénètre les cours, pousse les portes, tombe en arrêt sur des escaliers redessinés par la lumière, recueille au passage deux vieilles jumelles aveugles. Tel un acteur muet qui fait surgir l’Histoire des décors, il prend possession de la villa Badin comme une scène ouverte, y promène son regard sur les coins les plus sombres et les plus décrépis. Son attirail et lui ne font qu’un. C’est ensemble qu’ils débusquent les vibrations des murs défraîchis où s’accrochent les contours des tableaux disparus ou celles des lampes à jamais éteintes. Guetteur, il attend patiemment le rai de lumière qui ressuscitera les machines ou les sacs éventrés aux yeux des spectateurs. Se laissant envahir par le pouvoir du lieu comme « porte-empreinte » de l’image, il ne se lasse pas de déambuler avec son appareil pour palper la poussière, qui - il en est certain -« nous survivra tous car elle a le temps pour elle ». Et lorsqu’il s’aventure dans la cour, les longs cils de l’abandon s’écarquillent devant l’exquise menace végétale.
Poussant son exploration au-delà de la ville, la chapelle des Capucins à Embrun lui offre un nouveau lieu de méditation sur l’espace et le temps. Aussi collecte-t-il les signes de ses précédentes transformations juste avant la transfiguration annoncée. Un jour, lui et son œil s’attardent sur les façades squelettes d’un de ces villages transpercés par la Nationale 94, Hôtel du Lac, la Roche-de-Rame, et leurs anciens fleurons industriels, l’Argentière-la-Bessée, fierté d’une richesse minière aujourd’hui fossilisée en musée. A Guillestre, Orpierre, L’Enclus, il est envoûté par la féérie modeste des maisons et se risque à capter le souffle habité qui s’exhale de ce décor à travers toits, murs, pierres et fenêtres. Il est alors temps pour lui de se confronter à la grande Histoire et un de ses gigantesques édifices, la forteresse Mont-Dauphin. Que ce soit dans la Poudrière ou dans la caserne Rochambeau, il prend le parti de monumentaliser la lumière, qu’elle-même devienne l’acteur du lieu et anime d’un commun accord meurtrières, charpente et carrioles remisées. A l’église Saint-Louis, il se réfugie dans la sacristie et laisse son appareil se faire châsse à statues, brocarts et autres reliques sacrées. Puis l’occasion lui est donnée d’aller visiter la communauté d’animaux empaillés qui séjourne dans la saucissonnerie désaffectée d’Aspres-sur-Buëch. Ces modèles morts de spécimens vivants se prêtent de bonne grâce à la pose, il entame avec eux une conversation muette qu’il décide de prolonger par une ultime méditation en plongeant dans les eaux dilatées du Drac Blanc et de la Clarée. Va t-il enfin trouver là l’énigme de cette beauté naturellement mortelle ?