Galerie du Bar Floréal Rue des Couronnes, 43 75020 Paris France
Le défi d'André Lejarre : «Représenter l'Afrique autrement, à l'opposé de Tintin au Congo, à l'opposé du road-movie, à l'opposé d'une Afrique pittoresque, violente ou aimable, à l'opposé de l'Afrique qui nous est continuellement montrée dans les médias, violente, barbare, théâtre de guerres civiles et de massacres. Ndioum est un village du Sahel, au bord du fleuve Sénégal. J'ai commencé à le photographier voilà 25 ans, en privilégiant l’image en noir et blanc de la vie quotidienne, les villageois et leur façon d'être ensemble, la vie paysanne, les travaux et les jours… J'y retrouvais la lenteur paysanne de mon enfance dans le Loiret.
J'ai découvert au fil des ans une société toute entière tournée vers la qualité des relations entre ses membres. Mes gadgets d'occidental y étaient lourds d'incongruité. En une génération, le village a beaucoup changé : grâce à des financements de la CEE, on y a construit un hôpital. Les villageois émigrés en France ont créé une association qui a participé au financement de la construction d'un collège. L'électricité est arrivée au village, des puits ont été creusés dans la partie du village où j'habitais. Auparavant nous buvions l'eau du fleuve. Un immense périmètre irrigué a été créé, permettant la récolte du riz. Lors de mon séjour à Ndioum en 1994, j'ai assisté à la première récolte de riz ; bonheur des villageois devant la moissonneuse-batteuse ; bonheur des familles sur les petites charrettes à cheval revenant au village, chargées de sacs de riz.
Ces photographies montrent en partie la vie de ce village, grandeurs et misères, la beauté des femmes et des hommes et les gradations des couleurs sur leur peau, une certaine façon d’être ensemble, Elles tentent de témoigner poétiquement de la sensualité d'un monde paysan ou la parole est reine.
En arrière plan de ces photographies, il y a la rencontre des travaux de Cheikh Anta Diop. La découverte que j’y fis que les premiers pharaons étaient noirs, et que les cultures noires sont les héritières de la grande civilisation égyptienne, les langues de l’ouest africain descendant de l’égyptien des hiéroglyphes comme notre langue descend du latin et du grec, m’a bouleversé. Pour moi, ayant grandi devant les cartes du monde dessinées pendant la colonisation, il allait de soit que, même si les premiers homo sapiens étaient nés en Afrique noire, mes ancêtres en culture étaient comme moi, donc avec la peau blanche. Blancs étaient les Romains, blancs étaient les Grecs, blancs étaient donc les Egyptiens, –peut-être un peu brunis par le soleil de l'Afrique–, les Noirs ne pouvant être que sur les bas côtés de la grande marche des hommes vers le savoir et la « civilisation ». Cette prise de conscience m’a bouleversé et a été le fil conducteur de ce travail.»
Le livre, réunissant ces photographies, a été publié en janvier 2011 aux éditions Créaphis. Il se veut un hommage à une Afrique vivante, digne, avec son goût de la parole, sa relation si particulière au temps, et sa culture orientée vers le vivre ensemble d’une société qui fonctionne à sa manière et à ses rythmes et qui pourrait facilement atteindre l’autosuffisance. Boris Boubacar Diop y a écrit un beau texte grave, sous forme de conte, et y donne la parole à ces moments de la vie de tous les jours.