© Grégoire Eloy
Des filles aux yeux cernés de noir apparaissent comme des mirages sous de riches broderies, sirènes d’orient impassibles dans la lumière des projecteurs. Aussitôt passé le rideau, elles retombent de leurs hauts talons, redeviennent de graciles créatures des villes, allument une cigarette. Une bousculade, des dizaines de photographes qu’on ignore sans jamais les oublier, les petites mains s’affairent, les assistants s’essoufflent, les stars posent, les mannequins boudent, les videurs veillent... C’est la cohue organisée des coulisses d’un défilé de John Galliano. Grégoire Eloy, photographe reporter de retour des pays de l’Est, se trouve plongé dans cette atmosphère. Nous sommes en 2004, John Galliano, est au sommet de son art et de sa notoriété. Son talent qui semble inépuisable, ses références au monde de l’art, à l’Histoire, ses emprunts au Baroque, font de lui l’un des stylistes les plus créatifs et respectés de la planète. Pourtant, c’est son isolement dans la foule que saisit l’appareil du photographe débarqué dans l’univers à part de la haute couture, à la recherche de ce qui ne se dévoile pas d’abord.
« J’ai continué ce travail pendant plusieurs années. A chaque défilé le même sentiment de gêne se mêle à l’excitation, à l’adrénaline, à l’émerveillement devant les dernières créations. Les références aux peuples nomades d’Asie Centrale, à la steppe, à la culture d’Europe de l’Est, m’interpellent et trouvent écho jusque dans mon propre travail de reporter. Dans mes planches contact, très peu sur la mode et le glamour. Plutôt des fantômes, un ange, une madone, des dames blanches, et la solitude de Galliano sur le podium, la pudeur de Steven Robinson, son bras droit depuis toujours... A la recherche de mes propres obsessions, je trouve la face cachée que les créateurs ne veulent pas montrer, celle, torturée, d’artistes aux prises avec le monde du luxe et les adorateurs de paillettes. »
2007, c’est la disparition à l’âge de 38 ans de Steven Robinson. 2008, la mort d’Yves Saint Laurent. 2010, le suicide d’Alexander McQueen, puis la fin de règne chaotique et brutale de John Galliano chez Dior. Cette actualité fait écho aux images accumulées depuis 2004, des images fragiles, poignantes, évanescentes.
Grégoire Eloy a été primé par la Bourse du Talent en 2004. Il poursuit depuis sept ans un travail sur les républiques d’ex-Union Soviétique et l’Europe de l’Est. Il est régulièrement exposé en France (galerie Baudoin Lebon, galerie Fait et Cause...) et à l’étranger et son travail sur les déplacés des conflits du sud Caucase, Les Oubliés du Pipeline, a fait l’objet d’un livre aux Editions Images Plurielles en 2008. Depuis 2010, il collabore aussi avec F93, centre de culture scientifique et technique sur des projets liés à la science. Son travail en immersion dans les laboratoires d’Astrophysique, Ether, sera publié à l’automne 2011 aux Editions Le Bec en l’Air. L’ombre du cygne, présenté ici pour la première fois, a été réalisé dans les coulisses de plusieurs défilés John Galliano entre 2004 et 2010. L’exposition se compose de 20 tirages sur papier baryté argentique.