«Dans l'exposition que Michel Mazzoni présente chez Flux, on peut voir principalement, installés avec des fragments de textes et deux installations vidéo, des extraits de ses séries photographiques récentes Straight in the Light et Eclipse. Ces deux titres explicitent sans ambiguïté toute l'importance de la lumière, qu'ils disent son omniprésence brûlante ou son évanouissement. Photographe et vidéaste, Michel Mazzoni a aussi reçu une formation en colorimétrie et en sensitométrie. Dans la définition, la sensitométrie est la discipline qui étudie les effets de l'exposition à la lumière des surfaces sensibles, la pellicule au premier chef. Hors du dictionnaire, pour celui qui n'en a pas d'usage professionnel, c'est de la poésie : ça sonne comme un terme scientifique qui dirait que la sensibilité peut être mesurée, c'est l'aventure d'une recherche folle qui voudrait sonder l'émotion à la manière d'un inventeur. Constater l'émotion là où il n'y a quasiment rien à voir, dans la transparence de la lumière toute crue ou son fading : ce pourrait être l'objectif dernier du processus de travail de Michel Mazzoni, ce qui arrive au spectateur finalement, au bout de sa disponibilité à regarder le (presque) rien d'un (non-)lieu désert ou déserté. Le « quasiment », le « presque », ont cependant une importance capitale dans cette mise en scène de la lumière. Ils supportent la disparition, en gardent les traces nécessaires à l'avènement d'un pathos, d'une mélancolie narrative, d'une mémoire libérée finalement des détails signifiants pour mieux exprimer ce qui fait son essence : la perte. Les images de Michel Mazzoni, fidèles en cela à une tradition proprement photographique, détiennent encore une valeur informative, contournée, épurée, dénuée mais réelle. On n'est absolument pas dans un registre purement formel, ni dans la photographie plasticienne. On est au sens premier « ailleurs », dans un autre endroit, là où l'exergue, le climax de la photo (un oiseau mort, un homme perdu seul dans la profondeur, une voiture abandonnée,...) ne tient qu'au rien qui l'entoure et qui en constitue vraiment l'objet.
Ecrire donc l'absence avec la lumière (ou avec son éclipse – ce qui est une autre façon de faire), c'est pour Michel Mazzoni retrouver une affection lointaine, issue de l'enfance et informulable, pour les paysages inconstruits, raclés jusqu'à l'os, nus, et qui ont cette puissance de vider la subjectivité et de lui faire pourtant occuper toute l'absence1, comme dans les films d'Antonioni qui est une référence importante dans la maturation du travail de l'auteur. En cela le désert américain, avec cette histoire mythique accrochée à son horizon et aujourd'hui réduite à une nostalgie postmoderne peu à peu en phase d'évanouissement, était un détour sans doute obligatoire. La série Straight in the Light en témoigne. Celle-ci fait suite à sept années de transit à travers des « zones », pour essayer d'y capturer cette étrangeté du rien, du non-beau, qui, bizaremment, vient travailler par le déclin l'imaginaire tant du photographe que du spectateur à sa suite. La série Eclipses, toujours en cours quant à elle, dans sa diversité d'arrêts, prolonge en écho le périple américain, sur un mode peut-être plus affirmé formellement encore, ne fut-ce que par le retour du noir et blanc (pas sytématique cependant) et par un effet d'effacement inscrit parfois à la surface même du tirage. L'exposition présentée à la galerie Flux a été construite comme un trip, pour dire cet effet de départ brusque vers un mouvement qui très vite ne vaut plus que pour lui-même, hors de tout repère géographique ou de but. Comme une pérégrination aussi, quelque chose qui se lie avec le lointain, l'éloignement de soi et des autres, l'isolement comme bénéfice. Le parcours à travers l'exposition appelle un silence qui n'est pas du tout celui du recueillement mais plutôt d'une espèce de liberté, jamais tout à fait complète, aliénée toujours au regard et exploratrice volontaire de la solitude et de ses récits, communs à tous et intransmissibles tout à fait. Autour des photographies, de format large ou moyen, Mazzoni a installé des morceaux de textes dont un projeté en boucle qui décrit son arrivée dans le désert où « il n'y avait rien d'autres que des distances, ni vues, ni panoramas, mais uniquement des distances. » Ce dénuement d'une géographie où plus rien ne s'écrit n'est pourtant pas synonyme du rien, ni de l'ennui, ni de la vacuité. L'espace creusé des paysages, avec cette réminiscence constante d'un fait de récit, encapsulé dans l'abandon, souffle sur l'imaginaire comme sur des braises et une étrange narration se met en place à partir du constat photographique. Deleuze parlant d'Antonioni disait que la méthode du cinéaste qui réunit les temps morts et les espaces vides avait pour fonction de « tirer toutes les conséquences d'une expérience décisive passée, une fois que c'est fait et que tout a été dit. »4 Après, il y a ce qui reste, c'est-à-dire un dépôt de fiction sans scénario, construit avec les reliefs d'une histoire comme une mélodie lancinante et mélancolique qui nous parle de départ décisif et, à cause de cela même, qui n'est pas romantique. Malgré l'arrêt spatial et temporel des photos, renforcé par la majorité de formats carrés, le trajet mental qu'elles renferment est prégnant. Celui-ci est déplié dans la magnifique vidéo Frwy_405, qui, en contrepoint de la fixité très grande des photos de l'exposition, nous offre un flux perpétuel de voitures défilant sur la fameuse Freeway 405 qui traverse, en longeant la côte, une partie de la Californie. Construite à partir d'une suite de plans fixes pris d'une fenêtre du Motel 6, sur Century Boulevard, la vidéo enregistre la tombée du jour en même temps que le cadre se referme sur les pins qui masquent une partie grandissante de l'image. A la fin, seuls les phares trouent de lumière le plan final, noir de ces arbres qui bouchent la perspective. La lumière encore, pour finir, l'énigme de ce qui nous affecte.» Anne-Françoise Lesuisse
Ecrire donc l'absence avec la lumière (ou avec son éclipse – ce qui est une autre façon de faire), c'est pour Michel Mazzoni retrouver une affection lointaine, issue de l'enfance et informulable, pour les paysages inconstruits, raclés jusqu'à l'os, nus, et qui ont cette puissance de vider la subjectivité et de lui faire pourtant occuper toute l'absence1, comme dans les films d'Antonioni qui est une référence importante dans la maturation du travail de l'auteur. En cela le désert américain, avec cette histoire mythique accrochée à son horizon et aujourd'hui réduite à une nostalgie postmoderne peu à peu en phase d'évanouissement, était un détour sans doute obligatoire. La série Straight in the Light en témoigne. Celle-ci fait suite à sept années de transit à travers des « zones », pour essayer d'y capturer cette étrangeté du rien, du non-beau, qui, bizaremment, vient travailler par le déclin l'imaginaire tant du photographe que du spectateur à sa suite. La série Eclipses, toujours en cours quant à elle, dans sa diversité d'arrêts, prolonge en écho le périple américain, sur un mode peut-être plus affirmé formellement encore, ne fut-ce que par le retour du noir et blanc (pas sytématique cependant) et par un effet d'effacement inscrit parfois à la surface même du tirage. L'exposition présentée à la galerie Flux a été construite comme un trip, pour dire cet effet de départ brusque vers un mouvement qui très vite ne vaut plus que pour lui-même, hors de tout repère géographique ou de but. Comme une pérégrination aussi, quelque chose qui se lie avec le lointain, l'éloignement de soi et des autres, l'isolement comme bénéfice. Le parcours à travers l'exposition appelle un silence qui n'est pas du tout celui du recueillement mais plutôt d'une espèce de liberté, jamais tout à fait complète, aliénée toujours au regard et exploratrice volontaire de la solitude et de ses récits, communs à tous et intransmissibles tout à fait. Autour des photographies, de format large ou moyen, Mazzoni a installé des morceaux de textes dont un projeté en boucle qui décrit son arrivée dans le désert où « il n'y avait rien d'autres que des distances, ni vues, ni panoramas, mais uniquement des distances. » Ce dénuement d'une géographie où plus rien ne s'écrit n'est pourtant pas synonyme du rien, ni de l'ennui, ni de la vacuité. L'espace creusé des paysages, avec cette réminiscence constante d'un fait de récit, encapsulé dans l'abandon, souffle sur l'imaginaire comme sur des braises et une étrange narration se met en place à partir du constat photographique. Deleuze parlant d'Antonioni disait que la méthode du cinéaste qui réunit les temps morts et les espaces vides avait pour fonction de « tirer toutes les conséquences d'une expérience décisive passée, une fois que c'est fait et que tout a été dit. »4 Après, il y a ce qui reste, c'est-à-dire un dépôt de fiction sans scénario, construit avec les reliefs d'une histoire comme une mélodie lancinante et mélancolique qui nous parle de départ décisif et, à cause de cela même, qui n'est pas romantique. Malgré l'arrêt spatial et temporel des photos, renforcé par la majorité de formats carrés, le trajet mental qu'elles renferment est prégnant. Celui-ci est déplié dans la magnifique vidéo Frwy_405, qui, en contrepoint de la fixité très grande des photos de l'exposition, nous offre un flux perpétuel de voitures défilant sur la fameuse Freeway 405 qui traverse, en longeant la côte, une partie de la Californie. Construite à partir d'une suite de plans fixes pris d'une fenêtre du Motel 6, sur Century Boulevard, la vidéo enregistre la tombée du jour en même temps que le cadre se referme sur les pins qui masquent une partie grandissante de l'image. A la fin, seuls les phares trouent de lumière le plan final, noir de ces arbres qui bouchent la perspective. La lumière encore, pour finir, l'énigme de ce qui nous affecte.» Anne-Françoise Lesuisse