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Souvent, le chemin n’est pas très long. Plus court même qu’on ne le pense. De la normalité à la folie. Peter Granser l’a parcouru. Il s’est rendu en voiture dans une maison de fous, dans la province française. Maison de fous. C’est bien provocant. De nos jours, on appelle ce genre d’endroit « institut psychiatrique » ou « centre pour malades mentaux », ou quelque chose de ce genre. Mais Granser a cherché un accès direct à la folie. Et ce qu’on peut détecter derrière la façade des termes et noms techniques. Granser s’est donc rendu dans un asile d’aliénés, là où la folie fait partie du quotidien.
Comment approcher l’aliénation mentale ? Est-il possible à un photographe de donner des indices de ce phénomène ? Rien ne se prête mieux à la folie que d’en faire un spectacle, de mettre en scène les malades mentaux comme des spécimens intéressants. On connaît bien les images bouleversantes des institutions pour malades mentaux en Roumanie : des êtres humains traités comme des animaux, sales et en guenilles, bouches hurlant en silence dans des cellules sans lumière. L’horreur à l’état pur. Peter Granser a choisi une autre voie. Le spectaculaire de l’aspect extérieur ne l’inspirait pas ; il voulait au contraire mettre au point son image du monde de la folie selon la perspective intérieure. Il lui a fallu quelque temps pour trouver un institut prêt à lui ouvrir ses portes. Impensable en Allemagne. Mais en France, il a rencontré un médecin qui était prêt à lui permettre de jeter un regard dans les coulisses de la vie de son institution.
Pas à pas, Granser et son assistant Dylan Spencer-Davidson se sont approchés de ce monde étrange et nouveau. Il a fait connaissance avec les patients, s’est informé de leur sort, de leurs joies et de leurs compulsions. Dès le début, il a cherché à développer une image de ces personnes qui ne les présente pas comme des instables mentaux. Elles devaient simplement être elles-mêmes. Mais il est devenu vite évident que c’est justement ce soi-même, cet ego, que ces personnes ont perdu. « J’ai perdu ma tête ». Ravagé, blessé, brisé. L’aliénation est une perte du moi. Comme le cas de Jean-Jacques qui a assisté impuissant à la mort de son enfant et de son épouse brûlant à côté de lui dans la voiture ; la plupart du temps tout à fait calme, il a subitement besoin de se cogner la tête contre le mur. De toutes ses forces. Des gens comme lui ne se sentent en vie que quand ils se mutilent eux-mêmes ou en frottant toujours un même endroit comme s’ils voulaient soit l’enlever, soit le faire pénétrer. Pascale est tirée à quatre épingles. Une Grande Dame. Elle est la plus belle. Elle le sait et les autres le savent aussi. Mais personne ne peut dire avec certitude si elle a vraiment été mannequin et si elle appartenait à la haute société. Même Louise. Cette dernière est toujours prête à partir. Tous les jours, elle fait sa valise et enfile son manteau de voyage en préparation au jour où le départ aura lieu. Tous les jours. C’est complètement insensé. Une vie de folie.