Renoma Café Gallery 32 avenue Georges V F-75008 Paris France
Jean-Noël Coghe – Pourquoi une expo James Dean ? Maurice Renoma – J’ai découvert James Dean quand j’avais 14 ans et cela a été un choc. C’était la première fois, dans La Fureur de vivre, que je voyais quelqu’un porter la main sur son père ! Pour nous, la famille était quelque chose de sacré.
Le père était le grand “boss” … Quand on rentrait de l’école, on retrouvait le milieu familial, un univers quelque peu carcéral.
Et tout d’un coup, on voit quelqu’un qui ose ce que de nombreux adolescents rêvent de faire un jour ou l’autre. Je pense que cela a été un déclic qui a mis à mal les protocoles. James Dean n’était pas conventionnel, c’était un révolté, un rebelle. Il a bouleversé ma vie d’adolescent, et simultanément, ma vie de styliste.
Pour moi, Jimmy Dean est le personnage qui a le plus influencé le style et la mode. Le premier modèle que j’ai créé quand j’avais 14 ou 15 ans, a été son blouson rouge. Je l’avais façonné en daim à l’époque, non doublé, pour donner ce côté libre qu’inspire James Dean. Tout le monde voulait ce blouson très étriqué, en daim rouge que j’avais adapté et qui n’était pas tout à fait le même que celui porté dans le film. Il symbolisait James Dean, la liberté.
JnC – Est-il encore d’actualité ? Est-ce une raison pour en faire une exposition ? MR – Jimmy Dean a en quelque sorte recréé l’ homme. Bien entendu, il a été influencé par Marlon Brando, son aîné, mais il l’a surpassé. Brando a été l’élément déclencheur de la carrière de Dean mais ce dernier est parvenu à être lui-même. Son style est immuable. Tous les acteurs contemporains, de Paul Newman à Johnny Depp, ont une attitude “à la James Dean”, mais aussi les chanteurs : Bob Dylan, David Bowie le reconnaît lui-même.
Dans cinquante ou cent, voire deux cents ans, ce sera toujours une référence dans la mode et la photo.
JnC – James Dean, c’est la mode jeans, blouson de cuir, T. Shirt, mais aussi costumes … MR - Il pouvait se mettre n’importe quoi sur le dos. Tout est dans son attitude. Il pouvait porter des jeans, des pantalons larges … Il a rendu la mode intemporelle : c’est ça le style. J’ai essayé de faire pareil avec mes photos et mes vêtements. On pourra les porter dans des dizaines d’années, ils seront toujours d’actualité. Et pourtant ce sont des modèles que j’ai créés à mes débuts … JnC – James Dean, ce n’est pas uniquement l’acteur aux trois films qui l’ont rendu célèbre … C’est également le théâtre, une soif incroyable de connaissance, de curiosité pour la photographie, la peinture, la sculpture … Cela vous intéresse, vous interpelle … MR – On s’aperçoit que l’on connaît Jimmy uniquement en tant qu’acteur, alors qu’il semble avoir été “programmé”, comme Marilyn Monroe, pour devenir ce personnage rebelle, atypique, beau et talentueux. Au départ, sa mère lui fait faire du théâtre. Il était acteur, réalisateur, peintre, dessinateur, danseur, musicien, sportif, coureur automobile, et partout il était champion. Je crois que c’est ça qui est important : il se surpassait et on sentait qu’il allait réussir mais on ne savait pas dans quoi. En tant que basketteur, il a été le meilleur de son école, malgré sa taille -1,72m- qu’il jugeait petite et sa myopie.
En tant que peintre, il avait un talent extraordinaire et prémonitoire. Et c’est ainsi pour tout ce qu’il entreprenait.
Jimmy est un type assez exceptionnel, méconnu par rapport à l’image que l’on a de lui. Certes, beaucoup de gens ne le trouvent pas très bon acteur, ne le trouvent pas ci ou ça … mais il faut dire qu’autour de 1955, en tout cas, il nous a tous fait réfléchir, iI a ouvert beaucoup de portes. C’est ça qui est important. Moi, dans la mode, il m’a vraiment éclairé.
JnC – Sa carrière est fulgurante. Les trois films cultes, A l’Est d’Eden, La Fureur de vivre et Géant, il les tourne entre les mois d’avril 1954 et septembre 1955 ! MR – Dix-huit mois de tournage pour cinquante ans de carrière, c’est quand même incroyable ! Jimmy était un interprète remarquable à la mémoire extraordinaire et avec un sens certain de la mise en scène. Je pense qu’il était maître du jeu. J’ai découvert que le personnage était plus impressionnant que ses films.
JnC – Comment rendre compte, dans une expo photo, des multiples facettes de James Dean ? MR - Je viens du milieu de la mode et suis entré dans celui de la photo parce que j’aime l’image. Je me suis développé dans la scénographie et dans pas mal de domaines. Je n’ai pas envie de faire une exposition banale, avec des photos de James Dean convenues, qu’on voit partout. Au contraire, je suis en train de tout mettre en oeuvre pour réaliser une scénographie qui corresponde à cet artiste et qui apportera son lot de surprises.
JnC – James Dean était lui aussi un passionné de photos. Ami de Dennis Stock, Roy Schatt, Sanford Roth, il croise Gjon Mili, Phil Stern, et d’autres … MR – Quand on regarde ses photos, on pourrait penser qu’il a été influencé par Man Ray. Il a toujours pris exemple sur les plus grands. C’est vrai que, quand je regarde ses photos, sa peinture, je le trouve très talentueux. Je vais essayer, de mon côté, d’être performant pour cette exposition. James Dean est mon idole … J’espère être à la hauteur. En tout cas, c’est excitant ! JnC – S’il n’avait pas été tué ce 30 septembre 1955, James Dean serait venu à Paris, un mois plus tard, avec le photographe Sanford Roth qui connaît la ville et Picasso, Braque, Cocteau, Colette … des personnalités que James Dean voulait rencontrer.
MR – C’est tout de même un parcours peu commun : quelqu’un qui vient d’une petite ville de l’Indiana et qui devient l’acteur le plus emblématique du monde … En venant à Paris, il aurait encore découvert et appris des choses, surtout en présence de Picasso ou de Cocteau ... Il avait soif de savoir et donc de rencontrer des personnes au niveau intellectuel intéressant. Cette face cachée de Dean va en étonner plus d’un. Quand j’ai vu ses films, j’ai pris conscience de sa manière de vivre, de sa façon d’être et de l’impact qu’il a eu sur les gens. Quoiqu’il arrive je suis heureux de faire cette exposition, et je pense que si Jimmy était à Paris, il viendrait la voir ! JnC – On a tous quelque chose de James Dean … MR – Absolument. J’ai l’impression que je l’ai toujours connu, comme un grand frère. Et puisqu’on en est à créer des liens familiaux, je pense que l’on peut établir un parallèle entre James Dean et Jack Kerouac : des cousins germains en quelque sorte. Il y a une similitude dans leur façon d’appréhender la vie et la manière dont ils se baladent dans leur époque. Ce sont les prémisses de la Beat Generation. L’itinéraire de James Dean se calque sur ce phénomène qui est naissant. Dean, le Quaker venu de l’Indiana, débarque à New-York et s’immerge de façon naturelle dans ce mouvement qui s’annonce. Tout comme Jean-Louis “ Jack” Kerouac, le catholique aux origines québécoises et bretonnes, il évolue dans un milieu alors marginal où se côtoient des musiciens, des acteurs, des artistes noirs ou issus des populations immigrées des Pays de l’Est.
Ne parler que de James Dean acteur est réducteur : avec Jimmy les codes masculins ont été modifiés et c’est ce changement que décrit Kerouac dans son livre.