Deux grands yeux étonnés habillent désormais les deux nouveaux digesteurs de l’usine Seine amont à Valenton (94), des cuves cylindriques de 15 mètres de haut et de 28 mètres de diamètre, visibles depuis le rail du TGV Paris/Lyon et construits dans le cadre de la mise aux normes DERU** de l’usine. « L’image vous suit, les yeux marquent. J’ai eu envie de partager avec les passagers quelque chose de très simple : un regard qui m’inspire l’amour et la pureté », souligne l’autodidacte de 27 ans
JR est un “vrai humaniste” dont les “créations stupéfi antes ont amené les gens à voir de l’art où ils ne s’y attendaient pas”. Cette déclaration d’Amy Novogratz, Directrice du Prix de la Fondation TED, prix que vient de remporter l’artiste français JR, illustre parfaitement le lieu où une nouvelle oeuvre de l’artiste prend sa place : l’usine d’épuration du SIAAP, Seine amont à Valenton (94). Deux immenses yeux étonnés habillent dorénavant les nouveaux équipements de l’usine, deux digesteurs de 15 mètres de haut et de 28 mètres de diamètre, visibles depuis le rail du TGV Paris/ Lyon.“Dans cette courbe, où le TGV ralentit, j’ai pensé qu’une oeuvre artistique qui interroge sur le thème du “voir”, pouvait rappeler aux voyageurs qu’il y a tant de choses à voir que nous ne voyons plus, tant nous nous déplaçons facilement, vite et loin sans nous arrêter” – Avgui Calantidou, architecte des digesteurs de Seine amont.
Habiller ces énormes cuves cylindriques construites en béton et recouvertes d’un isolant et d’un bardage en acier laqué, a donné l’occasion à JR de passer de l’éphémère au “durable”. Une première pour lui qui a toujours réalisé ses oeuvres en papier collé. C’est donc sur de la bâche tendue en métallo-textile que l’artiste a fait imprimer sa nouvelle “expression grand format”.
R expose ses photographies dans la rue qu’il qualifi e de plus grande galerie d’art au monde. C’est libre, c’est gratuit, ça touche tous les publics. Cette recherche de l’art accessible au plus grand nombre qui vise aussi à mobiliser, à sensibiliser, rejoint celle que le SIAAP développe depuis quelques années déjà, dans le cadre de ses grands chantiers de service public. “Notre volonté est d’associer une oeuvre artistique à nos réalisations pour attirer l’attention, mettre en dialogue le grand public avec l’activité de l’assainissement et sensibiliser sur ses enjeux, ici et ailleurs” – Maurice Ouzoulias, Président du SIAAP.
En septembre dernier, l’exposition “Chiottissime ”, sur les toilettes dans le monde, installée boulevard de la Bastille à ciel ouvert, en est aussi un exemple marquant.
Pourquoi avez-vous accepté d’associer une de vos oeuvres à l’activité d’une usine d’épuration ? En fait, j’interviens très rarement avec des entreprises dans la mesure où je refuse de m’associer à une entreprise privée ou à une marque quelconque. Les sociétés commerciales adoptant des pratiques publicitaires plus sophistiquées, je refuse également de participer à des projets “humanitaires” labellisés par des entreprises.
Lorsque j’ai reçu une invitation du SIAAP, j’ai d’abord relevé que c’était une entreprise publique qui remplissait une mission de service public. Dès lors, il m’était possible de coller une oeuvre sur l’un de ses bâtiments. Et en voyant le site, j’ai imaginé ce que je pouvais faire à cet endroit… Etre si proche du TGV ça fait rêver...
Qu’avez-vous voulu exprimer dans le choix de l’expression ? Dans la plupart de mes travaux je présente des sentiments ambivalents : peur et espoir, vieillesse et mouvement, joie et peine. Les yeux sont la fenêtre de l’âme y compris lorsqu’on les observe lors d’un passage rapide depuis la fenêtre d’un train. L’image vous suit, les yeux marquent… J’ai eu envie de partager avec les passagers quelque chose de très simple : un regard qui m’inspire pureté et amour.
Quelles ont été les contraintes pour la pose de l’oeuvre sur ce type d’équipement ? Je voulais que ce regard soit assez grand et bien orienté pour être vu par tous les passagers des trains, que la proportionnalité du regard soit respectée, et que les yeux ne soient pas déformés par la forme des digesteurs.
De plus, je voulais que le regard soit posé sur un matériau qui résiste aux intempéries et au temps qui passe. Nous avons tous été très vigilants à chaque étape du processus technique de sorte à respecter l’architecture si particulière du lieu et l’intégrité de l’image. Cela nous a valu bon nombre de simulations 3D, parfois pour le détail d’un cil que personne n’aurait remarqué ! Cela faisait parti du jeu... Pour moi, c’était un défi car je n’étais pas habitué à cet exercice. Grâce à l’aide de l’agence d’architectes nous sommes parvenus à un très bon résultat.
JR est l’artiste français qui possède la plus grande galerie d’art au monde. Il réalise des projets “engageants” qu’il met en oeuvre et présente dans le cadre d’expositions urbaines monumentales. En 2006, il réalise Portrait d’une génération, des portraits de jeunes de banlieue parisienne, qu’il expose dans les quartiers bourgeois de Paris.
En 2007, Face2Face présente illégalement des portraits géants d’Israéliens et de Palestiniens de part et d’autre du mur de séparation / barrière de sécurité, dans huit grandes villes palestiniennes et israéliennes. En 2008, il part pour un long périple international pour Women Are Heroes, un projet dans lequel il souligne la dignité des femmes, cibles de confl its ou piliers de leur société en crise. En 2010, le long-métrage éponyme concourt pour la Caméra d’Or au Festival de Cannes.
JR travaille sur deux projets : The Wrinkles of the City qui questionne la mémoire d’une ville et de ses habitants et UNFRAMED, qui réinterprète et décontextualise des photos d’autres artistes, qu’il trouve dans les archives des musées, en les placardant en grand format sur les murs des villes.
JR a exposé son travail à Clichy-sous-Bois/Montfermeil, dans le bidonville de Kibera, la favela de Morro da Providencia, à Paris, Londres (Tate Modern), Amsterdam (Foam), aux Rencontres d’Arles, à Berlin, Los Angeles, New-York et Shanghai.