Expositions du 21/09/2005 au 06/11/2005 Terminé
Espace Photographique Contretype Contretype - 4A, Cité Fontainas - B-1060 Bruxelles Belgique
Marcel Moreau, écrivain
A propos des photographies de Jean-François Spricigo.
J'aime beaucoup ce qu'il fait, je veux dire ce qu'il défait. Son savoir-défaire fait
mieux que bien des accomplissements.
Il est facile d'être un faiseur. Il suffit de donner du paraître, toujours plus de
paraître, à la florissante entreprise des faillites de l'être. L'"air du temps" est
propice aux faiseurs. Le temps des faiseurs s'emploie à accoutumer le regard -
l'esprit aussi - à la séduction vénale des mirages de société. Il le conditionne à la
berlue, en tant que valeur marchande. Au fond, quand on y songe, rien de plus
proche de la prostitution qu'un regard, en cette époque où le spectaculaire
décide, en maître du destin des hommes et des choses. A l'immense devanture
des images, les apparences offrent leurs charmes au regard. Le regard ne met pas
longtemps à acheter son plaisir de regarder. Les profondeurs peuvent aller "se
rhabiller". Nue, leur vérité décourage la crédulité, jugule le vice, nous rappelle que
la connaissance n'est pas fille facile, dont on jouissait à la sauvette. Elle n'est
donc pas de mise.
À une époque où, hélas, la frivolité flatte et règne, l'oeuvre de Jean-François
Spricigo fait, face à cette frivolité, figure d'hérésie ô combien nécessaire.
Le photographe de toute évidence n'est pas de la religion des montreurs d'appas.
Montrer, ce n'est pas assez pour lui. Montrer les appas, c'est trop. Il ne s'agit pas,
dans son cas, de nier le visible, mais de le renvoyer à ses soubassements, ses
ratés, ses tares, ses failles, ses brouillons, pour les aimer, les faire aimer. Il sait plus
que tout autre que s'il y a de la beauté dans ce monde, ses origines sont
convulsives, quelquefois misérables: un effort insensé des ténèbres, ou de la
boue, pour se poser en architectes. Jean-François retourne aux origines, à
l'informe matrice, non pour l'enjoliver: en vue d'en relégitimer les bases
chancelantes, friables, rebelles à l'esthétisation à tout prix, comme dogme, mode,
source d'illusion, de facticité, donc de profit.
En pénétrant cette oeuvre, en m'attachant à elle par ses alluvions, je me sens
confirmé dans une de mes rares certitudes: l'ostentation nous ment, elle n'existe
que pour plastronner, debout dans sa perversité, voire sa cupidité.
Il y a bien des années, j'écrivis ceci: "Vivre, pour moi c'est battre de vitesse ma
décomposition."*
Surgir le premier, soit par un art, soit par toute autre forme de dépassement de
soi, y compris, évidemment, en amour, sur cette ligne d'arrivée imaginaire qui
sépare le passionnel du putrescible et le putrescible de l'anéantissant, c'était ce
que j'appelais alors vivre. A ce jeu, je ne gagnais qu'accès d'ivresse, fulgurances
d'orgasmes, mais je les gagnais contre l'extrême conscience que j'avais de mes
progrès en dégradation. Pour vivre, le photographe n'a pas besoin de se jeter sur
la ligne d'arrivée. C'est au départ, dans son oeil du dedans, que se produit
l'événement. Ici, point de compétition entre le périssable et l'au-delà du
périssable.
Sous l'oeil du dedans, le périssable, intime et universel, en devient un mouvement
créatif, fondateur, comme vital, une décomposition surmontée d'un vouloir. Une
oeuvre naît, ne cesse de naître, qui pousse la cruelle lucidité au paradoxe d'être en
même temps une délivrance. L'oeil du dedans se retourne dans ses frontières
cavitaires, les recule. Il ratisse large dans les anfractuosités du visible. Il nous libère
de notre dépendance envers l'insigne superficialité des petits arrangements -
traditionnels - avec la réalité des gouffres. Avec lui, ce qui se meurt en nous n'est
plus tout à fait d'un délabrement indigne d'une vivacité. Ce qui se meurt en nous,
c'est ce qui se meurt aussi concomitamment dans nos civilisations de l'avoir, au
détriment de l'être. La différence, c'est que l'oeil du dedans voit plus loin et plus
fort que ne le peuvent ou que ne le veulent les accélérations aveugles de l'histoire.
Le rythme de Spricigo n'est pas le mien, manifestement. Mais c'est comme si,
généalogiquement, ils se rejoignaient, sur une même ligne, ni de départ ni
d'arrivée ni tout à fait d'ailleurs, là se donnent mystérieusement rendez-vous
l'exigence de vérité de l'un et celle de l'autre. J'apporterai à cela, tout simplement,
mon plaisir d'avoir découvert un authentique artiste.
Archimbaud Editeur
© Jean-François Spricigo
Espace Photographique Contretype Contretype - 4A, Cité Fontainas - B-1060 Bruxelles Belgique