Expositions du 23/06/2005 au 29/10/2005 Terminé
Musée de la Cour d’Or Rue du Haut Poirier - Metz- tél. 03 87 68 25 00 - Gratuit le 1er dimanche de chaque mois - Ouverture : lundi - vendredi | 9 h - 17 h - samedi, dimanche et jours fériés | 10 h - 17 h - Fermeture : mardi
Regard d'un photographe contemporain sur les manifestations du mysticisme populaire dans le Nordeste du Brésil
« J'aurais probablement pu rencontrer d'autres terres. Mais il y a eu le fruit du hasard,s'il existe.Il y a eu d'abord le voyage,cette chose qu'on invente dépossédés de nous-mêmes en découvrant l'étendue de notre ignorance, cette chose qui nous construit,nous enrichit par d'autres possibles,ce temps que l'on consacre à l'inattendu,à la vulnérabilité,ce remède contre la pensée unique.
Et puis la littérature.Celle de Guimaràes Rosa et de Graciliano Ramos qui m'emmena de Récife vers la terre de Glauber Rocha qui avait si bien compris combien les mythes nous disent ce que nous sommes.Terre de Glauber que les économistes nomment “Polygone de la sécheresse “, ce Sertào que d'innombrables pèlerins, prophètes, prieuses et pénitents quittent à date invariable pour converger vers leur Jérusalem nordestine, Juazeiro, afin d'y accomplir leur rituel : s'extraire de leur condition humaine en se consacrant à ce qu'ils appellent Dieu.
Dans ce paysage de l'absence qui renvoie à la méditation et à la contemplation,les humbles, auprès desquels je me sens en résonance, s'accrochent avec acharnement à leur fragment de planète que nulle histoire n'a jamais eu le courage de prendre en compte. L'évidence que cette terre habite les gens autant qu'ils l'habitent m'y a retenu et m'y lie encore, captivé par le sentiment d'avoir pénétré en un lieu sorti de l'imaginairede Garcia Màrquez où le temps ne se serait pas arrêté mais où il ne serait pas encore arrivé,où les visages rappellent les christs de Velasquez, où la maigreur des corps aurait inspiré le Greco, Chardin pour ses natures mortes et où le Caravage serait venu copier la lumière chiche des maisons de torchis... »
De ma rencontre avec eux, liée à ma fascination pour les spiritualités, restent ces quelques images fragmentaires et incomplètes pour célébrer ceux pour qui la culture n'est pas un produit de consommation mais un lien avec les anciens, leur histoire, leurs racines, leur éternité.
Ainsi le Sertão m'apparut comme une métaphore possible de l'existence humaine. J'y découvrais que l'on peut ressentir le monde comme un poème auquel on participe, nourri du théâtral, du profane et du sacré dont la présence fragile m'est essentielle, moi qui n'ai pas de religion mais pour qui le religieux fait sens. Peut-être pour répondre à un besoin d'absolu ou un besoin d'avancer vers ma propre spiritualité, je ne sais.
Cet ailleurs n'existe peut-être pour moi que dans les photographies. Dans ce que l'on ne peut approcher, encore moins toucher, retenir. Les choses qui nous entourent ont un langage dont le sens nous échappe sans toutefois nous être totalement inaccessible. Photographier ne serait que cela : créer les icônes de cet ailleurs hors d'atteinte.
Ce serait un moyen de tutoyer cet invisible inhérent à chaque chose, chaque être et dont la perception fait la singularité de notre regard, de notre identité. Mes photographies ne résultent pas de mon imaginaire mais de mes sensations face au réel. Je sais que je ne vais pas percer les mystères du monde mais, familier de leur présence, je cherche à me frayer un étroit passage, un lien. Existe-t-il, en dehors de notre imparfaite perception du monde, une réalité objective ? Et qui donc définirait la réalité ?
Comment prétendre montrer une réalité qui n'existe du reste que vécue de l'intérieur ? Ne fallait-il pas aussi éviter le piège de l'indignation dont notre monde se contente si bien, remplaçant ainsi courage et responsabilité ? Je ne peux que donner corps à ma propre existence et s'il n'y avait qu'une réalité et une seule, il n'y aurait plus lieu de photographier. Le visible est un trompe-l'œil permanent et en chaque être est contenue l'humanité tout entière.
Il y a probablement une grande part autobiographique dans mon travail, celle-là même qui est la moins maîtrisable. Il ne s'agit pas de décrire, de démontrer, de dénoncer, encore moins d'informer, mais – prenant le risque de perdre en crédibilité – de choisir de ne pas me mettre à distance, de me laisser absorber par les choses, porté par l'incertitude de cette vérité latente et furtive. Photographier serait regarder ce que l'on ne voit pas. Je me souviens de cette belle phrase de Picasso à Brassaï : “Sans vos photos les graffitis existeraient, mais ce serait comme s'ils n'existaient pas”…
Le choix d'utiliser une chambre grand format qui rappelle les ambulants du début du XXe siècle peut surprendre, pour moi qui suis plutôt frénétique… J'avais besoin de m'imposer le silence et la lenteur, et peu à peu photographier ressembla à une expérience mystique. Le voile noir, la nécessaire immobilité du sujet, le temps arrêté, tout cela m'amena à établir un équilibre entre l'éveil des sens et la lucidité de l'esprit. Ce qui pour moi fait question aujourd'hui, ce n'est pas exactement le regard que porte le photographe sur le monde mais son rapport intime avec lui. De plus, cette chambre en bois n'a jamais été perçue comme une agression. C'est à peine si elle provoqua l'étonnement parfois. La dimension rituelle qu'elle confère à l'acte photographique s'est révélée être en parfaite harmonie avec cet univers où le religieux est omniprésent.
La fréquentation de cet appareil à l'allure désuète me conforta dans l'idée de pouvoir photographier une chose non simplement pour ce qu'elle est mais pour ce qu'elle est d'autre, ajoutant ainsi à l'immobilité et au silence de l'objet que la photographie arrache au contexte assourdissant du monde réel. Si mes “élus” choisis lors des pèlerinages dans la “rua do Horto” ont cette inquiétude dans le regard, c'est sans nul doute le temps consacré à la pose qui les conduit entre la conscience de se donner à voir et l'incertitude de ce qu'ils sont.
Effleurer la fragilité du monde, sans me préoccuper de savoir si ce que je fais est de l'art ou non… Il n'y est jamais question d'art mais de nécessité. Il me suffit de savoir que ce que je fais m'aide à vivre. M'occuper de ce qui me dépasse… Não vemos as coisas como elas são, mas sim como nos somos…
Et puis il y a cette intuition d'être un œil qui regarde la tragédie de Sisyphe… Représenter la vie revient à représenter un mystère… ».
Patrick Bogner, novembre 2004
Cette exposition aura lieu dans le cadre du festival "Faux Mouvement", articulé cette année autour du Brésil. Celui-ci propose également du cinéma expérimental, des performances, des installations et un séminaire.
Tous les renseignements relatifs à "L'été brésilien" se trouvent sur le site: www.faux-mouvement.com
Contact: 03 87 37 38 29 et fauxmvt@club-internet.fr
© Patrick Bogner
Musée de la Cour d’Or Rue du Haut Poirier - Metz- tél. 03 87 68 25 00 - Gratuit le 1er dimanche de chaque mois - Ouverture : lundi - vendredi | 9 h - 17 h - samedi, dimanche et jours fériés | 10 h - 17 h - Fermeture : mardi