Quand, en 1967, Marc Garanger choisit de franchir le rideau de fer et de pénétrer en URSS, le monde vit les grandes heures de la guerre froide. Pour l'Occident, l'Empire russe semble un bloc monolithique. Fermé. Inconnu. Terrifiant. Pour Garanger, c'est une partie de la terre qui s'entrouvre. Et par-delà les multiples frontières, l'immensité des paysages, c'est l'histoire de quelques centaines de millions d'hommes, leurs passions, leurs mystères, qu'il va tenter de partager. Dans les pires difficultés politiques, financières et climatiques, il déjoue pas à pas, année après année, têtu et généreux comme un paysan, tous les pièges qui lui sont tendus.
Rejetant violemment l'exotisme, Marc Garanger marche sans trêve sur le fil ténu du quotidien : témoigner, laisser parler les visages. Ici comme ailleurs les mêmes passions, les mêmes rires, le laminage du labeur. Partageant le pain des ouvriers des sovkhozes, la tête d'agneau bouillie des nomades kirghizes, ou le foie de cheval cru et congelé des chamans yakoutes, il entend une petite phrase, la même, à chaque pas, question sublime issue d'une terre de la démesure et d'hommes au destin si tragique : « Mon âme souffre, la nostalgie me ronge et me dévore, et vous ? » Et nous la renvoie dans ce livre.
« Ce diable d'homme, comme le nomme si bien Jean Dieuzaide, ne s'arrête pas pour autant. Ce bonhomme à la carrure de Viking et à l'allure de grand gosse, au rire qui fuse à tout bout de champ [...], dissimule mal une certaine naïveté. Son aventure restera vraisemblablement un des grands moments de l'histoire de la photographie. »