Les Rencontres d'Arles 2010 34 rue du docteur Fanton 13200 Arles France
Atelier des Forges / Parc des Ateliers 13200 Arles France
«Où est mon quartier ? Qui m’a volé ma douleur? Ma lune, dans quel coin verses-tu, comme alors, ta joyeuse clarté ?» Je peins le corps des modèles à l’encre rouge, puis, avec la même encre, je colore à la main leurs copies photographiques. Du sang sur du sang.
L’idée, c’est de remettre en évidence. De répéter. D’exagérer. Du sang fictif dans un pays de gauchos carnivores et anthropophages, qui tuaient une vache pour en manger un steak, et laissaient le reste aux charognards.
Mon esthétique est Baroque. Rococo. Peinture coloniale de Cuzco, mélangée à la vibration phosphorescente des fresques psychédéliques qui ornent les murs des cabarets de Iquitos. Lumière Noire. Amazonie. Sang, ayahuasca [liane aux effets hallucinogènes], sueur et larmes.
J’ai besoin de parler toujours de la même chose. Sans arrêt. Comme le pantin d’un ventriloque sous psychotropes.
Expérimenter l’excès sans regrets. Ecrire et méditer, dans une même respiration.
Comment trouver le style, le ton, pour faire le portrait d’un continent formé par le mélange d’Indiennes amourachées de conquistadores-centaures ambitieux et sanguinaires? Et puis, pour comble, leurs filles qui se marièrent avec des immigrants européens qui étaient descendus de leurs navires, déboussolés, obstinés, obsessionnels… Nos ancêtres italiens et espagnols qui n’eurent pas le temps de nous serrer dans leurs bras ni de nous raconter des histoires avant de dormir, parce qu’ils étaient trop occupés 16 à construire le pays.
À «forger un avenir», comme on disait autrefois. Ils travaillèrent dur par vocation. Et aussi pour soulager la douleur et la mélancolie de leur mal du pays.
C’est ainsi que nous sommes: nous répétons, voire amplifions les mêmes erreurs, dans un «melting pot» digital, mélange de Werner Herzog, de Klaus Kinski, du cacique Tupac Amaru, de Alvar Núñez Cabeza de Vaca, de Jorge Luis Borges, de Evo Morales et de Hugo Chávez. C’est de là que je pars pour faire le récit de l’histoire d’un pays et d’un continent.
En me plaçant du point de vue de mes propres expériences émotionnelles. Je transforme l’odeur de ma maîtresse de CP en une chronique socio-politique de l’Amérique latine.
Je réinvente l’histoire à mon gré. Je renseigne la réalité en la mettant en scène.
Comme le faisait Glaubert Rocha dans le sertão (terres arides) du Nordeste brésilien. Je m’empare de la pampa humide, et je la transforme en scène. En théâtre. J’y place les acteurs pour qu’ils y représentent ma propre angoisse.
Une Argentine en carton peint. La patrie comme absence. Le vent. Le fleuve brun comme du lait maternel. L’encre rouge comme simulacre de la douleur.
Lorsque j’écris et que je prends des photos, je me fais chaman. Je parle avec mes morts.
Marcos Lopez, Buenos Aires, mars 2010.