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Qu'est-ce qui peut pousser une personne à faire de la photo comme elle respire? La peur du temps qui passe? L'angoisse d'oublier les moments doux? Ce serait le cas de Lartigue, sans aucun doute. Il utilisait l'appareil photo comme un troisième oeil, une mémoire. Une forme de distance et de jeu avec le présent qui deviendra un moment précis, un souvenir. Le passé. Se promener chez Lartigue, c'est faire un tour dans sa vie légère. Le mouvement, la vie qui bouge et qui se marre. La liberté et l'insouciance même dans les moments de grande agitation (la Grande Guerre et plus tard, la IIe Guerre mondiale). Des moments d'agitations qui glissent sur la vie du photographe français et de son entourage. Les photos de Renée, Florette, Bibi, sa femme, Sizzou, son frère. La famille et les amis. La vie heureuse à Paris, les vacances à Royan, Hendaye, Chamonix, Tolède... Immortaliser le bonheur était celui de Jacques-Henri Lartigue. Né en 1894, à Courbevoie, il démarre sa longue carrière dès six ans quand son père lui offre un appareil photo. Il commence par photographier ses parents, sa grand-mère... Plus tard, l'hiver au ski, les étés à la plage. Plus jamais il ne quittera cette manie de tout immortaliser, malgré sa préférence pour la peinture. Car lorsqu'il n'est pas derrière son appareil photo, il peint, écrit aussi son journal.
Photo-mémoire
Toujours cette peur d'oublier. La mémoire qui déraille effaçant les jours et les heures en compagnie de ceux qu'on aime. Dans les années 40 et suivantes, tandis que la photographie fait déjà figure d'art majeur aux Etats-Unis et s'expose dans les galeries et au MoMA, la France lui préfère encore la peinture, la sculpture...
La photo comme mémoire de l'instantanéité. Car, ces images là ont tout de l'instant volé, ces belles bourgeoises aux tenues parfaites qui se promènent avenue du Bois de Boulogne le dimanche matin... mais aussi de la complicité avec les proches qu'il s'agisse d'un séjour au ski ou de baignades à Royan. Des moments intimes en compagnie de Florette ou Bibi... Le bain de Sacha Guitry avec son amie, la comédienne Yvonne Printemps, et Bibi, la femme de Lartigue, un moment la tête dans l'eau, près du rivage (Le seul bain de Sacha, Royan, juin 1924). Le passage du président Emile Loubet, en calèche, traversant le bois de Boulogne comme un simple anonyme (Monsieur Loubet en calèche, 1905). Lartigue est très jeune mais sait déjà rendre compte de moments sortant de l'ordinaire. Ces moments flottant au sein d'une bourgeoisie légère sont ceux qu'il vit.
Les femmes sublimées
Comme les poètes, et Baudelaire en particulier, Lartigue semble adorer les femmes sophistiquées, maquillées, hâlées par des journées de bonheur au soleil. Sophistiquées même à moitié nues. Si ses premières photos de femmes sont prises d'un point de vue oblique, presque timide, avec l'âge, Jacques Henri Lartigue convoque la sensualité comme personne et choisit un angle direct, le portrait. Et ces images de femmes, amantes, épouse... sont comme une ode à la féminité parfaite. Maquillées avec élégance. La volupté au bord des cils. La sensualité. Renée, et surtout Florette, les ongles longs et vernis, les bras relevés entourant un visage parfait aux lèvres charnues. Le regard de l'homme, non pas indiscret, sinon complice et amoureux. A l'époque, ni même aujourd'hui, la photographie de mode elle-même ne sait créer de tels reflets de la féminité sublimée. Dans un autre registre, c'est sans doute la raison pour laquelle l'Américaine Diane Arbus l'avait quittée au profit des portraits de « freaks », plus beaux encore que ces images de femmes glacées face aux miroirs de pacotille.
© Corinne Bernard