Chambre avec vues 3 rue Jules Vallès 75011 Paris France
De photographie en photographie, une métaphore se construit. L’évidence se fait jour que là où le pouvoir économique triomphe, le vivant n’a pas sa place. La vie qui, dans une prolifération joyeuse et irrésistible, s’introduit partout, dans les moindres recoins, a pourtant été chassée d’ici. La végétation elle-même, placée là par des logiciels, semble étouffer dans sa servitude. Elle a beau s’efforcer de reprendre ses droits sur les recoins oubliés par l’urbanisme totalitaire, ses maigres victoires font apparaître la vie comme un phénomène macabre et obscène. À première vue, la série Immaculate relève de la photographie plasticienne. Et pourtant, la présence d’un corps humble et discret, nu sans être provocant, sans sexe, sans identité, la fait basculer dans un tout autre ordre de représentation. Étrangement, une certaine beauté se dégage de cette hideur.
L’humain, malgré tout. C’est peut-être de là que vient ce bonheur total, cette euphorie fébrile qui s’empare de l’artiste lorsqu’il emporte chez lui un de ces clichés surnaturels : la victoire d’avoir arraché un portrait de l’humanité à cet espace qui prive la vie de ses droits essentiels.
Il y a, dans la démarche de Ruben Brulat, quelque chose de romantique, au sens dix-neuvièmiste du terme. Son travail est celui d’un solitaire, exalté et mystique, lancé dans une quête qui le confronte aux limites et lui ouvre les portes d’une appréhension nouvelle du monde. Autrefois, à la suite d’Amiel, toute une génération avait proclamé que « chaque paysage est un état d’âme », et plongé son regard dans des perspectives sans fin, accidentées comme la vie, torturées comme le sentiment humain. Une fascination que l’on retrouve nettement dans cette nouvelle série de photographies, intitulée Primates.
Parmi les rochers, la neige et la glace hostiles, peu disposés à accueillir la vie, voici un corps sans identité, totalement nu et démuni. Parviendra-t-il à se fondre dans ce décor, dans cet infini d’accidents ? Saura-t-il s’apparenter à la bête qui, établie en son milieu, règne sur son territoire ? Elle est bouleversante, la tentative désespérée de cet être de faire corps, justement, d’être accepté, ou ré-accepté, par une matrice dont la substance humaine est étrangement exilée. Le voici ravalé au rang d’espèce, comme un homme d’avant les millénaires, forcé de se connaître et de s’adapter aux déterminations extérieures qui ne sont que menaces.