Musée Tavet-Delacour 4 rue Lemercier 95300 Pontoise France
Peter Knapp, dada-constructeur ?
Depuis 50 ans, Peter Knapp entretient avec la photographie un rapport qui peut s'apparenter à un détournement de sa nature première. Ce n'est pas tant la photographie comme expression esthétique de la réalité qui l'intéresse. Ni l'instantané de la prise de vue, la nostalgie de l'éphémère, ni le beau tirage, ne retiennent son attention. Quand, entre 1964 et 1966, Peter Knapp renonce à la peinture pour sa dimension "figée et très objet", il se tourne vers la photographie pour prélever d'une réalité mouvante (des drapeaux dans le vent, des nuages…) des séquences, ses images/secondes, qui n'ont de valeur que dans leur réunion en une même composition. L'usage, dès cette époque, d'une caméra 16mm, aussi bien pour la réalisation d'œuvres aux marges de l'art conceptuel que pour ses photographies de mode, est à interpréter en relation avec ce désir d'intervenir sur le mouvement, de contourner la pause, l'instantané, l'éphémère. Quand il choisit de projeter ses photographies séquentielles résultant de prélèvements à intervalles réguliers, il utilise la photographie (ici le film positif), pour ce qu'elle n'est pas : un médium permettant d'utiliser le hasard comme une mécanique créative qui renvoie au "hasard mécanique" défini par George Brecht a propos de Marcel Duchamp. Il s'agit d'une défiance envers l'arbitraire de la subjectivité :
"...En faisant ces gestes physiques avec une caméra, je m'impose une façon de photographier. Si je déclenche systématiquement toutes les 10 secondes, j'échappe à un choix esthétique personnel, c'est le sujet qui m'impose sa forme".
Le rapport à la réalité sera de la sorte distancié. La photographie ne sera plus là "pour ce qui a été", comme le relevait Roland Barthes, mais pour ce qu'elle est devenue après sa recomposition par Peter Knapp : une réalité nouvelle et concrète. L'oeil de Peter Knapp est d'abord un oeil déconstructeur du temps et de l'espace.
De fait, Peter Knapp ne renonce jamais à intervenir pour manipuler la réalité, pour la réduire au-delà d'un miroir brisé, à une nouvelle construction qui s'impose au-delà de la perception initiale. En cela, il entretient un rapport à la réalité qui n'appartient pas à la photographie mais bien plus à l'univers de la peinture moderne. Si les photographies des murs de l'île de Lanzarotte, ne comportent aucune forme d'intervention, son regard analytique, par la position appuyée de l'angle de vue, est tellement inscrit dans le résultat formel, que l'on ne peut oublier le travail qui précède le cliché. Cette tension qui brouille les pistes entre ce qui est "trouvé" et ce qui est "recréé", situe ses oeuvres à équidistance entre le ready-made de Marcel Duchamp et l'Art Concret tel que l'a défini Hans Arp. Dans les deux cas, on sera tenté d'évoquer une filiation dadaïste. [...]
Christophe Duvivier