Bibliothèque du Château d'eau 72, rue du Faubourg-Saint-Martin 75010 Paris France
Dans ses errances à travers les villes, Catherine Merdy multiplie et collectionne les instantanés de vie. L'appareil photo fait office de journal intime où elle raconte sa propre histoire et celles de ceux qui l'entourent.
Le photographe traque la vie à l'état brut, sans aucune mise en scène, sans volonté de raconter une histoire pré-établie, ni de ramener une oeuvre documentaire.
Après cette prise de note régulière, l'artiste recourt presque systématiquement à la logique binaire du diptyque. Ces 2 images associées pour n'en faire plus qu'une sont autant de petites fictions intimes ou collectives, les fragments possibles de scènes cinématographiques : un regard très personnel sur notre monde contemporain.
L’histoire du « 2 »
Ce travail a commencé en 2000. Etrange coïncidence que cette date, sans doute aussi, tout un symbole : un chiffre si clair, un deux suivi de trois zéro.
Je venais d’avoir 32 ans ; je collectionnais depuis deux années une foule d’images de mon quotidien, retrouvant peu à peu le goût de la photographie, médium d’expression que j’avais délaissé au profit de l’image en mouvement dans la pratique de mon métier de cameraman.
Dans l’utilisation de « toyscamera », j’allais redécouvrir la liberté de déclencher sans aucune contrainte technique, de manière instinctive et spontanée ; un besoin viscéral et vital de re-déclencher l’appareil et de m’approprier une partie du monde qui m’entoure.
Mon travail sur l’instantané photographique est un travail sur notre quotidien dans son contenu et son environnement. Mon regard s’arrête sur des instants de vie, le détail d’un geste, un regard, le mouvement de ceux que je croise au hasard ou de ceux qui m’entourent. Il s’attarde aussi sur les signes, les chiffres, les lettres, les symboles, sur tout élément de notre décor urbain que souvent, nous ne voyons plus, devenu commun, voire insignifiant.
Dans ces détails banals, dans ces couleurs que je sature et dont je joue, dans ces mouvements figés, dans le flou, dans ces décadrages involontaires, je veux y voir et révéler la poésie de la vie, celle-là même que l’on oublie si vite dans nos vies urbaines et qui nous fait si souvent défaut.
Le « 2 » est né de la volonté de recomposer à partir de toutes ces images isolées une nouvelle image, composée de la juxtaposition systématique de deux images le diptyque comme logique binaire.
Ces associations se veulent être comme des histoires, la mienne, celle de ceux qui m’entourent, la votre, la Notre.
Je suis ce chiffre 1 qui additionné au 2 pourrait créer la rupture. Je suis cet oeil rouge et vif qui jette son éclair sur le souvenir mouvant mais figé d’un instant magique. Je suis cet enfant au milieu d’un monde si fragile. Je suis cette femme en escale qui emporte avec elle le rouge passionné d’une liaison secrète.
Je suis cette femme, je suis cet enfant, nous le sommes tous un peu, vous l’êtes peut-être beaucoup.
Comme on monte un film, je confronte, je lie, j’affronte. Je joue du raccord parfait, du champ contre champ, de la violence d’un faux raccord, de la douceur d’un fondu-enchaîné, laissant chaque image recomposée du « 2 » en suspens à l’interprétation personnelle de mes spectateurs. Il n’y a pas de guide pour expliquer. J’aime l’idée que les regards voyagent dans mon pays imaginaire du « 2 ».
On pourrait expliquer le « 2 » par le simple fait qu’il s’agit de l’association de deux images, mais le deux est partout aussi bien dans la forme que dans le contenu : double regard, le mien, le votre ; la paire, le double, le couple, un choix. Je joue de l’amBIvalence dans le deux en un, je m’amuse de l’amBIguïté dans le sujet ou dans l’association. Je laisse le choix de DEviner les différents DEgrés de lectures possibles et la possibilité à chacun de trouver un DEvenir personnel à chaque composition.
Toutes mes images sont une quête personnelle à travers l’errance : promenades nocturnes, déambulations citadines.
Les deux premières saisons sont parisiennes et bruxelloises.
Mais peu m’importe le lieu, si ce n’est l’idée que par ma seule présence et par ce geste simple de photographier, je deviens l’actrice d’une histoire qui ne m’appartient pas encore. Mon travail n’a de sens que dans cette « pulsion » de déclencher l’appareil pour aller à la découverte des choses et des êtres. Il n’y a dans mon travail aucune mise en scène, aucune volonté de raconter une histoire pré-établie, ni de rapporter une œuvre documentaire. Je traque la vie à l’état brut et mes associations sont un regard personnel sur notre monde contemporain.
L’envie de fouler des terres inconnues est venue ces dernières années comme un moteur nécessaire à l’évolution de mon travail. J’ai souhaité confronter mon regard et ma démarche à l’inconnu : à l’étranger.
La première étape de ce voyage par 2 là le monde a été Beyrouth, Liban.
Invitée à venir exposer et résider au mois de mars 2005 à la Zico House, je me suis retrouvée immergée dans une ville et un pays dont je ne connaissais ni la langue ni la culture.
Un choc étrange dans une période troublée : quelques jours avant mon arrivée, Rafik Hariri ex premier ministre libanais était assassiné en plein centre de la ville ; le peuple dans la rue réclamait la vérité, « The truth, the truth ».
Le 2 l’a encore emporté sur la possibilité pour moi de ramener un reportage sur cette actualité bouillonnante qui s’offrait à moi. J’ai erré dans la ville au gré de mes envies et de mes rencontres, rapportant avec moi la série « 2 beirut », un regard personnel sur une ville marquée par l’actualité du moment.