Ville Ouverte Les Douches la Galerie 5 rue Legouvé 75010 Paris France
Après la série NORD, Aymeric Fouquez nous livre un nouveau témoignage sur la façon dont Histoire et Paysage sont étroitement liés. Cette nouvelle série réalisée au sud de Leipzig et au nord de Dresden, nous montre comment les pouvoirs économiques et politiques tentent d’effacer les traces d’un passé (un paysage de mines de charbon) en recomposant sur ces cendres la projection d’un paysage idéal (une base de loisirs).
SEQUEL LANDSCAPES
Le territoire qui s’étend du Sud de Leipzig jusqu’à la frontière Tchèque est sans doute l’un des grands points d’interrogation sur la question de l’environnement et du paysage en Europe. Pourtant, lorsque l’on traverse ces grandes plaines, la végétation de chaque côté de la route laisse difficilement percevoir ces grands cratères, parfois larges comme des villes qui furent les mines de charbon à ciel ouvert.
L’exploitation à ciel ouvert a commencé au début des années 20, et devient essentielle après 1945 pour l’Allemagne de l’Est. Pendant de nombreuses décennies, ce que l’on a dénommé "le triangle noir" a permis les grandes heures de l’industrie lourde et l’apport en énergie de tout le pays avec les désagréments écologiques que l’on connaît puisque toute la topographie de la région s’est transformée. Certains photographes ont d’ailleurs largement documenté ce sujet tel Koudelka durant plusieurs années ou encore Inge Rambow, peu après la réunification et témoignent de l’ampleur des transformations du paysage de cette région.
Le travail que j´ai mené se veut moins lié à l’idée de constat ou d’état des lieux, qu’à l’idée d’un "inventaire approximatif"(1) des nouveaux usages de ce paysage en mutation. C’est en cela sans doute, une certaine continuité avec mes précédents travaux, à savoir l’association des traces de l’Histoire avec un environnement qui les fait vivre autant qu’il les transforme et donne une sorte de "sentiment géographique"(2) de l’Histoire.
C’est ce que produise, je pense, ces "Sequel landscapes" qui sont le miroir des projections des pouvoirs publics qui hésitent entre l’ensevelissement du passé industriel et sa revalorisation, en essayant de trouver d’autres fonctions à ces espaces.
En effet, depuis une quinzaine d’années, l’Etat a envisagé la réhabilitation de cet environnement post-industriel notamment en décidant d’immerger les anciennes mines, de les transformer en lac, en créant également des espaces de loisir, en aménageant des pistes cyclables ou encore en développant des sports nautiques.
Ce sont les nouveaux usages officiels mais surtout spontanés qui m’intéressent ici car ils posent d’une façon très directe la question du paysage. De "l’invention du paysage" pour reprendre la formule d’Anne Cauquelin(3).
Certaines mines sont depuis longtemps immergées. Cependant, mon intérêt se porte davantage sur les espaces encore transitoires. Lorsque les différentes strates encore visibles de l’histoire de ce paysage sont mélangées aux usages nouveaux et encore incertains des habitants. Ceux là même, qui deux décennies plus tôt, ont vu ces tours Eiffel allongées s’approcher jusqu’au ras de leur maison dans un nuage noir et qui à présent, par un curieux tour forcé de l’Histoire, peuvent, incrédules, en sortir aujourd’hui en maillots de bains.
Aymeric Fouquez
Janvier 2010.
(1) Georges Perec, Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Hachette, coll. "POL", 1978
(2) Michel Chailloux, le sentiment géographique, Gallimard, Paris, 1990
(3) Anne Cauquelin, L’invention du paysage. Paris, PUF, 2000