Galerie du Théâtre La passerelle 137 boulevard Georges Pompidou 05010 GAP France
ESQUIVES (2003-2005)
Esquives est un ensemble de vastes et inquiétants paysages où se jouent clandestinement des histoires insondables. Dans ces décors naturels majestueux de rocaille, d’eaux stagnantes et de végétation sauvage, la seule présence humaine décelable est incarnée par une fillette aux mines énigmatiques, nichée dans des situations pour le moins étranges. Dans cette série photographique, le paysage exerce une prédominance symbolique. Il entoure, enferme, soumet la fragile « figurine ». L’enfant paraît tour à tour abandonnée dans les proportions irréelles d’un marais salant, immergée les yeux fermés dans un lac aux tonalités sanguines, absorbée dans un jeu sur les pierres plates d’une rivière obscure, piégée par les fumées d’une rizière enflammée, plantée comme un arbuste dans un champ d’obione, ou encerclée par la montagne qui semble se dresser autour d’elle.
« Pour la réalisation d’Esquives, j’ai sillonné chaque route, chaque chemin à partir d’un hameau situé en Petite Camargue, lieu clé qui constitue la trame narrative de ce travail, à la recherche de paysages insolites. Mes critères étaient les suivants : l’absence de trace humaine, la présence forte de quatre éléments (eau, bois, terre, feu) et une atmosphère qui appelle l’étrangeté, ce que j’ai exploité en travaillant la perspective et le point de vue, puis en modifiant la place de l’enfant esseulée face à l’immensité du paysage. Tout cela appelait naturellement des grands formats. Je suis partie de l’idée suivante : chaque décor est une projection mentale de l’enfant qui lui permet d’échapper à une réalité pénible dont on ne sait rien a priori dans les images. Le personnage semble subir le paysage plutôt que de prendre place. En fait, les refuges qu’elle s’invente l’emprisonneraient entre un imaginaire où elle ne parvient pas à s’épanouir et un monde réel hostile qui la rattrape. Les rapports d’échelle traduisent ce décalage. L’enfant est en lien direct avec la protagoniste de mon roman (Le Gisant), véritable pendant littéraire dans un triptyque composé de photographies (Esquives) et de vidéos (Objections). Le personnage principal du roman, une jeune femme, se trouve confronté à son passé douloureux, une enfance vécue dans une atmosphère familiale de harcèlement et de persécution mentale. Je joue sur les rapports de profondeurs de champ entre le model et le paysage pour créer encore le décalage. Pour donner un relief particulier, chaque élément du décor naturel est traité de manière à accentuer l’illusion onirique. Mais j’aime partir de phénomènes donnés : le lac dans lequel la fillette se tient debout, à moitié immergée, n’est pas très profond et la terre y est véritablement rouge. Selon les passages des nuages, l’eau prend alors une coloration qui laisse penser qu’elle contient du sang. En ce qui concerne la question de la narration, Pierres est sans doute l’image la plus proche de l’univers des contes et des fables. L’arrière-plan avec le sfumato à l’horizon est un clin d’oeil à l’histoire de la peinture, mais aussi au merveilleux. Il y a des résonances avec mon roman. Le motif des cheveux est au centre du récit. Ainsi dans Prairie, l’enfant virevolte avec un pantalon de pyjama vissé sur le crâne pour mimer une longue chevelure. C’est d’ailleurs la seule image où l’enfant joue, sorte de clé de voûte qui vient clore la série. » MIREILLE LOUP
NOCTURNES OU LES GARÇONS PERDUS (2006-2007)
Fidèle à son esprit narratif, Mireille Loup propose dans cette série, l’itinéraire onirique et inquiétant de deux frères perdus, la nuit. Parcourant paysages et atmosphères différents, un « Pays de Nulle Part » qui s’inscrit d’un bout à l’autre de l’Europe, ces deux enfants pieds nus, en pyjama, avec leur nounours ouvrent les portes d’un roman triste et contemporain. Nocturnes s’inscrit dans la suite logique de la précédente série de Mireille Loup, Esquives.
Pour réaliser ces photomontages, Mireille Loup s’est inspirée de l’oeuvre de James Matthew Barrie, Peter Pan. Dans ce conte, les garçons perdus sont des enfants tombés de leur berceau. Si au bout de sept jours ils ne sont pas réclamés par leurs mères, ils atterrissent au « Pays de Nulle Part ». Pas de Capitaine Crochet cependant, ni de crocodile dans cette série photographique. Plutôt que de faire une illustration du conte, Mireille Loup a préféré reprendre les sources d’inspiration première de l’écrivain : le décès accidentel et traumatisant d’un frère âgé de treize ans alors que James était petit garçon et qui a rendu sa mère inconsolable. Pour plaire à celle-ci, pour se faire aimer d’elle, James portait les vêtements de son frère aîné. Et dans sa douleur, sa mère croyait reconnaître le défunt plutôt que James. Celui-ci enviait à regret cet aîné qui n’aura jamais grandit et qui obtint plus de reconnaissance de sa mère par son absence que James par sa présence. Ainsi est né Peter Pan, un mélange entre James lui-même et ce frère perdu, un enfant qui refuse de grandir et qui fut d’abord un garçon oublié par sa mère, qui « referma la fenêtre sur lui ».
Nocturnes propose des échappées dans l’univers fantasmagorique de l’enfance. Les ambiances nocturnes ressemblent davantage à des décors qu’à des paysages naturels. En effet le bleu des images révèle une nuit irréelle, voilant de sa lumière et de sa teinte les paysages pour les transformer en décors. Un bleu qui répond également à celui de l’eau, élément récurent de la série. Lumière et couleurs irréelles viennent participer à l’imaginaire, simulant pour certaines images un décor en carton-pâte de mises en scène théâtrales. Mireille Loup nous parle de nous, de notre enfance oubliée.
On y retrouvera nos craintes, nos aspirations, notre fascination ou appréhension de l’eau, nos frayeurs mêlées d’excitation du monde nocturne, nos certitudes quant à l’existence de grottes enchantées, de tapis volants, de forêts habitées, de trésors enfouis. L’artiste nous fait croire un moment que les mondes imaginaires existent bel et bien. Et pour chacun de nous, une image au moins de celles qu’elle nous propose viendra, comme la madeleine de Marcel Proust, faire ressurgir un souvenir de notre enfance.