Le japonais Shunsuke Ohno et le biélorusse Igor Savchenko se rencontrent pour une subtile conversation photographique à la galerie RTR.
Shusnuke Ohno et Igor Savchenko mènent des vies à priori complètement différentes. Tout les oppose: l’âge, les racines, la géographie du parcours. Mais leurs visions et leurs méthodes discrètes les rapprochent et nous offrent des paysages aux mélodies croisées, composés sur la même note. Les deux artistes racontent le paysage d’une manière infiniment pure et frontale. Ils nous font ressentir son essence même. Le résultat soulève une profondeur poétique, une narration sensuelle. Tout se fond dans le paysage et le devient: les volumes et les formes immobiles, les personnes, les lumières, les couleurs, et l’artiste lui-même. L’oeil du spectateur se
rapproche de la lentille de la camera. Les tirages uniques en petit format d’Igor Savchenko, photographe biélorusse de 55 ans, sont des “paper shots” – la prise de vue se fait directement sur le papier. Ainsi, il évite la lecture rectifiée de la réalité (comme dans le cas du schéma classique camera-pellicule-papier). Il est obsédé par le détail et les tonalités du gris, par les effets nuancés selon la distance de laquelle on regarde un objet, par les vues les plus banales du réel. Des barres d’immeubles, des branches au sol, des couches de neige, des objets abandonnés, des arbres noirs : un condensé sur un rectangle de 13 x 18 cm. Pour éclairer sa démarche, Savchenko raconte, pour l’anecdote, la réaction de deux passants allemands vis-à-vis de ce qu’il est en train de photographier : “Nicht verstehen!” (“Rien comprendre”) Pour l’un, il n’y a pas de photographie sans objet intéressant. Pour le second, les motivations sont cachées et émanent d’un sujet banal. Savchenko porte tout particulièrement son intérêt à la construction de contextes voilés, implicites et des attitudes possibles du spectateur face à ces contextes. C’est une étude de l’immatériel, unique en son genre, une captation de l’électricité déclenchée lorsque nous entrons en interaction avec ses photographies. Shunsuke Ohno, jeune photographe japonais, bien que voyageur très curieux, est troublé par Tokyo, “la plus bizarre des villes”, d’après lui. Il y vit depuis 5 ans. “1 seconde à Tokyo”, série de 30 photographies, est un récit de la cacophonie de la
ville, de ses pulsations et de sa mélodie. Shunsuke souhaite rapprocher la musique de la photographie. Il évoque des expériences qui le fascinent : le film de Paul Auster “SMOKE”, dans lequel le propriétaire d’un bureau de tabac prenait une photo par jour pendant 8 ans du même point d’observation, et les photographies de Kikai Hiroo qui faisait les portraits du même point pendant 30 ans. Tandis que Savchenko nous propose des rangées d’images qui se ressemblent, prises chaque fois avec un léger déplacement du point de vue, Ohno nous fait visiter une ville chaotique et posée à la fois, colorée et vibrante, une image par lieu. Mais on
devine que pour livrer une image finale, il fallut à Shunsuke Ohno des dizaines de prises, avec des légers déplacements, pour enfin trouver la bonne, la plus pertinente. Il confie lui être arrivé de grimper sur une voiture ou se placer derrière un arbre pour obtenir le meilleur angle. Le flou des silhouettes humaines, des véhicules et surtout des trains passant à toute vitesse, obtenu avec un long temps de pause, nous entrouvre une porte vers une autre dimension, un univers digne de Matrix. La géométrie de la composition et le rythme semblent dissonants chez les deux photographes, mais cette légère dissymétrie nous laisse entendre les nuances de leur mélodie photographique. Discrètement. Moderato.