Qu’est-ce que la vie ? Une fureur. Qu’est donc la vie ? Une illusion, Une ombre, une fiction ; Le plus grand bien est peu de chose, Car toute la vie n’est qu’un songe, Et les songes mêmes ne sont que des songes. Pedro Calderòn, La Vie est un Songe
¿ Qué es la vida ? Un frenesí. ¿Qué es la vida ? Una ilusión, Una sombra, una ficción, Y el mayor bien es pequeño ; Que toda la vida es sueño, Y los sueños, sueños son.
Pedro Calderòn, La Vida es Sueño
*La vie est un songe (titre original : La Vida es Sueño) est une pièce de théâtre espagnole métaphysique, écrite en 1635 par Pedro Calderón de la Barca. Cette pièce, qui s’inscrit dans le théâtre baroque espagnol, propose une réflexion sur l’illusion et la réalité, le jeu et le songe. La pièce est découpée en trois journées ; deux intrigues s’entremêlent. L’action se déroule dans une Pologne fictive, proche d’une forteresse, sans aucun souci de vraisemblance.
C’est à la plus la plus mythique des œuvres de la littérature espagnole que l’exposition de Zaïda Kersten emprunte son titre. La filiation ibérique entre l’auteur et la photographe se prolonge dans une même interrogation autour du rêve et de la réalité, de la porosité de leur frontière. Zaïda Kersten concentre ce questionnement à travers le prisme du corps et de sa relation à l’espace, en trois séries réalisées entre 2006 et 2009.
1 - La première série, intitulée « Scènes » nous emmène sur les rivages de l’auto fiction et du rêve. Plonger dans ce corpus de 40 images, pour la plupart présentées en diptyque, c’est plonger dans un univers onirique, à la fois sensuel et introspectif. C’est à une fiction intime que nous convie la photographe. Nous devenons les spectateurs d’un rêve, devenu tangible par l’alchimie de la photographie.
Au cœur d’un songe dont elle est l’unique protagoniste, Zaïda Kersten questionne le corps et l’espace. Elle se met en scène de manière dépouillée, parfois crue et prend le risque d’une descente en elle-même que l’on peut deviner douloureuse, dangereuse, mais sans doute viscérale. A l’instar de Francesca Woodman, les tirages de petits formats nous obligent à nous rapprocher, nous invitent à nous frotter à une forme de sensualité grave, où l’on sent l’urgence, la blessure, mais aussi le manque et la solitude. Nous devenons les voyeurs du personnage fantomatique incarné par la photographe, au plus près de ses mouvements indécis et de son errance. Le lien intime avec le lieu est puissant : toute tentative d’en sortir semble vouée à l’échec.
La sensualité du rêve se heurte à l’enfermement. Zaïda Kersten est elle prisonnière de ce songe, de son rêve ? Lui impose-t-il sa loi ? La mise en abyme du procédé de l’autoportrait est aussi révélateur : le fil du déclencheur présent dans nombre d’images est la corde qui l’attache à cet espace vide, théâtre d’une comédie humaine désertée de tout participant. Malgré les signes d’une tentative de fuite – une valise, des chaussures sur le sol d’un couloir, etc – Zaïda Kersten peut-elle quitter ce lieu ? Ou bien en est-elle la captive consentante, recluse en son propre songe ?
2 - Dans la série « Romanç Blau », dont 20 images sont ici présentées, Zaïda Kersten transfigure la puissance de la relation charnelle en une pratique physique empirique et complexe.
Les prises de vues à l’origine sont simples, en extérieur, à la lumière du soleil, au bord d’une plage, ou chez elle sous l’éclairage d’une lampe de bureau. Le processus commence alors dans une longue gestation au laboratoire. La cyanotypie et la kallitypie demandent une mise en place lourde et longue. Les négatifs sont agrandis en contretypes positifs, puis agrandis en négatifs géants, de la taille de l’image finale. Le papier doit être préparé, enduit au pinceau, exposé aux rayons UV.
Zaïda part d’une simple admiration, et, petit à petit, reprend les rênes de la vie et crée cette image dans son cheminement maîtrisé, étape par étape.
3 - Les 10 paysages désertiques, objets de la série « Sol y Sombra », ont en commun avec les autres travaux un questionnement sur l’espace, comme théâtre d’un possible, où l’anecdotique est banni, où la figure humaine est absente. Leur aridité vient en écho à la sensualité dépouillée des autoportraits de Zaïda Kersten.
Son questionnement sur le territoire rejoint celui sur le corps. La texture induite par le procédé de reproduction cyanotipique virée au tanin est en parfaite adéquation avec la matérialité végétale et minérale de ces grands espaces. Elle semble, cette fois-ci, atteindre une sérénité. Ces grands espaces sont la scène de ses songes.
Repères biographiques
Zaïda Kersten est née à Calafell (Espagne), en 1976. Elle vit à Paris et travaille comme journaliste et photographie indépendante.
Expositions personnelles
2009 México : Angahuan, magia purhépecha, Centre Civic Can Déu, Barcelona, Espagne
2009 A la Chingada la muerte !, Centro Cultural Valentina. Barcelona, Espagne.
2007 Romanç Blau. Galerie Bluebook, Paris, France
Expositions collectives
2009 Le Petit Théâtre du Corps. Galerie Centre Iris, Paris, France.
2008 Autorretrato. Centro Fotográfico Manuel Alvarez Bravo, Oaxaca, Mexique.
2008 Camera Lucida. Galerie Par-ci par-là, Lyon, France.
2007 Images Fétiches. Galerie Centre Iris, Paris, France.
2007 Calafell 18x24. Mairie de Calafell, Espagne.