Galerie Albert Benamou 7 rue Froissart 75003 Paris France
Galerie de l'exil 18, avenue Matignon 75008 Paris
Généralement associé au Nouveau Réalisme, dont la déclaration constitutive en 1960 sous la houlette de Pierre Restany, regroupait Yves Klein, César, Villéglé, Arman, Tinguely…ou encore Martial Raysse, Raymond Hains est principalement connu du grand public pour ses affiches lacérées, réalisées dès 1949.
Ce nouveau mode d’appropriation du réel initié par Raymond Hains en collaboration avec Jacques Villéglé, qui s’est ensuite étendu aux palissades, aux tôles puis aux sculptures de trottoir dans les années 90, s’inscrit dans une vision plus globale du monde, celle révélée, dès 1945, par la photographie. Raymond Hains est en effet un capteur d’images autant qu’un « dragueur de murs » (Restany) : « Prendre une affiche dans la rue est peut-être un geste de photographe » dit-il.
Né en 1926 à Saint-Brieuc (ou « Saint-Brieuc des choux » pour reprendre le titre du poème d’Alfred Jarry cité par l’artiste), Raymond Hains a fondé son œuvre sur la photographie auprès d’Emmanuel Sougez à France-Illustration (Paris), en produisant plus d’une vingtaine de photographies hypnagogiques entre 1947 et 1951, à l’aide de verres cannelés déformants. Dès les années 40, il découvre également, grâce à l’écrivain briochin Roland de Coatgourden,Max Jacob, Céline, Giono, l’ésotérisme, la philosophie de l’Inde et du Tibet…Dès lors, le livre tient une place centrale dans la constitution de l’univers Hains, où l’artiste puise une connaissance d’érudit qui lui permet de développer sa « langue de cheval » (allusion à la langue cryptée des résistants), sur le modèle de la toile d’araignée qui tisse des liens entre les références les plus savantes, les lieux, les personnes et les faits de la vie ordinaire. « Je travaille à une sorte de Web » dit-il aujourd’hui, curieux de l’univers d’Internet.
Entre 1949 (année où il décolle sa première affiche) et 1954, Hains réalise de nombreuses affiches lacérées et s’intéresse de près au film. Il réalise avec Jacques Villéglé le film inachevé Pénélope (1950-54), film abstrait en couleur réalisé grâce à l’ « hypnagogoscope » caméra munie de verres cannelés – un « bain de couleurs » qui évoque « les reflets des eaux dormantes » et qui ne sera monté qu’en 1980.
Proche du mouvement lettristre, Raymond Hains rencontre en 1954 François Dufrêne qui rejoint la bande des affichistes, puis grâce à ce dernier Yves Klein. Il participe alors à l’avant-garde de l’après-guerre fascinée par les possibilités poétiques et visuelles de La Lettre, en éclatant avec les verres cannelés le poème « Hépérile » de Camille Bryen (Hépérile éclaté, 1952).
En 1957, il expose avec Villéglé ses affiches chez Colette Allendy (« Loi du 29 juillet 1881 ») et réalise ses premières tôles, puis sa première palissade en 1959, montrée à la Biennale des Jeunes de Paris.
A partir de 1959, les spéculations langagières prennent progressivement le pas sur les affiches, avec notamment la découverte des Entremets de la Palissade (« une avalanche de crème pâtissière contenue par une palissade de biscuits à la cuillère ») puis du Seigneur de la Palice et de la ville de Lapalisse dans l’Allier.
En 1961, Hains expose à la Galerie J les fameuses affiches de la « France déchirée », une vingtaine d’affiches politiques lacérées par le passant anonyme, qui font allusion aux événements de l’Algérie.
En 1964, débute la période « italienne » de Hains qui se rend à Milan et s’installe à Venise jusqu’en 1971. Il participe à sa manière à la Biennale éclatée et inaugure le cycle des artistes SEITA et SAFFA (régies françaises et italiennes de tabac) qui produisent des pochettes d’allumettes géantes, montrées à Paris par Iris Clert en 1955.
En 1970, Hains réalise l’œuvre sonore Disque bleu pour Saffa (45 tours), une sorte de « disque obole » offert « par-dessus le marché de la peinture » où la voix de l’artiste se déforme en échos.
A partir des années 1970, Raymond Hains développe ses recherches « at-home », en réalisant des fiches de lectures détaillées et datées qu’il range, avec ses livres, dans des valises modèles Airbus ainsi que dans des boîtes. Ce besoin de classement participe d’un art de la mémoire qu’Hains développe alors au hasard de ses trouvailles : Chrétien de Troyes qu’il relit à la suite de son voyage à Troyes en Champagne ; le Marquis de Bièvre, maître du calembour au XVIIIème siècle auquel il rend hommage à la Fondation Cartier en 1986, etc. En 1976, au moment de sa première grande exposition au CNAC qu’il rebaptise « La chasse au CNAC », Hains réalise ses premières « photographies-constats » à l’occasion de l’exposition « l’art à Vincy » qui deviennent des modes d’expression à part entière à côté des grandes sculptures des année 90, comme le Socle de Louis XIV ou le Brise-Lames. En 1997, Raymond Hains présente à Reims le premier « Machintoshage » d’un ensemble d’une soixantaine d’œuvres, qui rendent visibles les liens entre ses références grâce aux fenêtres de l’écran Mac. Jacques Mauguin
‘Le nouveau réalisme pour moi c’est à présent ma nouvelle réalité, la perte de mes chers amis. J’arpente les trottoirs vides et je cherche les visages fantomatiques de mes copains, Arman, César, Pierre Restany, Raymond Hains, Erik Dietman, Roland Topor, François Dufresne et tant d’autres qui sont partis
Les rues reflètent des vitrines chatoyantes vides de sens et pleines de riens ponctuées par des panneaux « défense d’afficher » qui ne me parlent pas. Les affiches des abris bus sont protégées par des verres incassables et font la promotion de gens que je ne connais pas. Le miroir est devenu une fenêtre fermée sur le passé et mon objectif un peu de temps jusqu’au coin de la rue.
J’ai vu passer en un éclair les années 60, 70, 80, 90 et le 21eme siècle est arrivé sans bruit ni même d’étonnement.
Raymond était un ami joyeux et bedonnant à l’ironie mordante et au cœur déchiré. J’ai partagé son goût pour les jeux de langage, le calembour métaphysique, Raymond Roussel et Alfred Jarry, les pochettes d’allumettes dans les bistrots, les ivresses tardives de la rue de Seine et parfois même ses colères sourdes. Avec sa façon poétique de transcender le quotidien et la banalité du réel, il avait une manière à lui de créer sa mythologie personnelle, de réinventer chaque moment, de transformer à sa guise les lieux et les gens. Alourdi par sa bedaine, il marchait lentement en soufflant, pourtant circulait partout, voyait chaque événement tout en restant « le ministre de sa propre culture ».
Le monde est un collage infini et le décollage la volonté de s’approprier des instants de mémoire : La guerre d’Algérie, la France coupée en deux, la révolution de 68, la France encore s’entredéchire, le cinéma, les palissades, les promenades dans la jungle des villes préoccupent ce promeneur solitaire et politique qui crie en silence son indignation. Jamais tribun mais souvent prophète, il ponctue sa déambulation sur le réel d’images et de mots; il enchaîne, des affiches aux palissades, aux délices de Lapalisse (un entremet) au chevalier de la malice. Il brasse des histoires, des détournements, des associations, mélange sa vie avec son art et comme son copain Ben amuse et déconcerte. C’est le privilège des gens très impliqués, très intelligents que de pouvoir ainsi confondre et associer, sans hiérarchie, sans limites, leur vie et leurs réflexions et d’en faire tout un art.
Il s’engage de la même manière avec fidélité avec ses amis proches, galeristes et conservateurs, critiques ou artistes : Jacques de la Villeglé, François Dufresne, Lara Vincy, Colette Alendy, Daniel Abadie à qui il consacre son temps et des expositions.
Mais avant tout, ses rencontres sont avec le hasard et ce poète de la rue a laissé toute sa trace invisible mais récurrente dans chaque rue que je traverse. C’est pour ces souvenirs et cette tendresse que cette exposition a lieu’.
Albert Benamou
Véronique Maxé