Galerie du Théâtre La passerelle 137 boulevard Georges Pompidou 05010 GAP France
L’humour n’est pas l’affaire des comiques. C’est une méthode de pensée. Une manière de traverser la vie, libéré du plomb qu’on pouvait avoir au fond des poches. Une tentative de s’élever au dessus de la mêlée humaine, de prendre du champ, d’aider les autres à supporter le monde. Cela induit bien sûr que ce qu’on a vu d’emblée était assez insupportable. L’univers que nous dévoile Michel Vanden Eeckhoudt n’est pas gai. S’il ne parcourt pas la planète pour témoigner des douleurs du monde, s’il échappe à la fascination de la guerre, du drame et du sang, on voit bien qu’il ne pactise pas avec le monde des privilèges. Il aborde des sujets qui ne prêtent pas à rire : les gestes du travail, les territoires frontaliers, l’immigration. Je m’arrête. Vous allez penser que je parle d’un de ces donneurs de leçons qui brandissent leurs images comme des manifestes et nous renvoient, bouleversés et coupables, à notre impuissance à changer d’un coup le sens de l’histoire. Rien de tout cela chez Michel Vanden Eeckhoudt. Il nous parle de nous. De nos enfants, de nos journées, de notre solitude, de nos bouffées d’allégresse, de nos fatigues, de la mort qui rôde, de la curieuse façon dont la terre tourne, de la lumière qui découpe étrangement nos silhouettes sur l’absurdité du monde. Paysage intérieur/extérieur on ne sait plus, mais le regard est intense, on va profond dans l’univers décrit. Pour adoucir l’intensité du propos peut-être, un humour salvateur bouscule légèrement le cadre. On vaut le coup d’œil, je vous assure. Parfois on a des têtes de singes, d’autres fois on a des têtes de chiens mais ça n’a aucune importance, on se reconnaît bien tout de même. Souvent il élargit le champ pour nous regarder vivre ensemble. Il
photographie les gens au travail ou bien il fait le portrait d’une ville, on pourrait croire alors que ces reportages à caractère social vont générer des photographies de groupes, de gens en nombre, de foules. Pas du tout. C’est encore en partant de l’individu qu’il va décrire le clan. Chaque élément d’une communauté humaine quelle qu’elle soit est un être unique. C’est cet homme-là qui l’intéresse. Quand la machine sociale grince, on voit bien qu’il aimerait que les choses tournent mieux mais il nous fait la faveur de croire qu’on pense comme lui. Il ne nous accuse de rien, il nous entraîne dans son observation stupéfaite, on peut en sourire ensemble, on est tous sur le même bateau.
La forme tient solidement le propos, il raconte en images, avec une économie de moyens exemplaire, ce que de longs discours ne parviendraient pas à dire. Il nous donne à voir un monde pas tout à fait d’équerre dont il nous propose une géométrie personnelle. Il y a tant d’humanité dans ces images qu’on en sort consolés. Ce mardi 26 mai, je me suis levé très tôt, pour être à l'abattoir municipal à 5h30, quand on tue les premiers cochons de la journée. J'ai d'abord été les voir dans l'enclos où, serrés dans une masse compacte et mouvante, ils sont aspergés, vaporisés d'eau tiède, pour les destresser. Mais quand même, ils vous lancent des regards très parlants, des regards qui vous disent qu'ils ont perdu toute confiance dans le genre humain et qu'il ne faut plus leur raconter d'histoires. Après, ils passent un à un devant un gars en bottes et tablier caoutchoutés blancs, qui les tue avec une espèce de grosse tenaille électrique. Et ce même mardi 26 mai, en fin d'après midi, je suis allé au Monoprix, à la recherche de lingettes parfumées qui pourraient m'enlever cette odeur d'urine, de sang et de merde dont mes appareils photos étaient imprégnés. Là, devant le petit rayon livres, j'ai vu cette jeune femme. Sa robe décolletée dans le dos, laissait voir une tête de Bouddha tatouée. Je lui ai demandé doucement « Votre tatouage est magnifique, je peux le photographier ? ». Sans rien dire, elle a tiré d'un geste fluide sur l'arrière de sa robe, pour m'offrir le Bouddha en lévitation sur son
dos. Alors, je ne sais pas si le hasard fait bien les choses, mais il y met du sien de temps en temps...
MICHEL VANDEN E ECKHOUDT, JUIN 2009
Michel Vanden Eeckhoudt, Photo Poche, Editions Actes Sud, 2007
Si l'on s'en tenait à leur seul sens de l'humour, à leur amour des chiens et à leur virtuosité technique, on pourrait se demander si Michel Vanden Eeckhoudt n'est pas à la photographie européenne ce qu'Elliot Erwitt est à la
photographie américaine. Mais il y a plus... L'Enfermement, ouvrage collectif : photographies de Jane Evelyn Atwood, Jean-Marc Bodson, Gaël Turine, Michel Vanden Eeckhoudt, Hugues de Wurstemberger, texte d’Alain Wiame, Delphine Paci, Dan Kaminski et Philippe Mary, Editions Husson, 2006
La prison est un lieu où la société enferme non seulement des personnes, mais aussi ses peurs, comme si la sécurité générale pouvait être appréciée à l’indice du nombre des détenus. Outre les commentaires de certains détenus, les photos de ce livre sont loin d’être muettes : elles interrogent non seulement sur les conditions de l’enfermement, mais aussi sur sa raison d’être. La prison peut-elle rester cet endroit clos où l’on parque à l’aveugle ceux qui ont commis, ou en sont seulement soupçonnés, des faits attentatoires à la sécurité publique, aussitôt enfermés, aussitôt oubliés ?Justice en France, texte de Dominique Simonnot, Editions de la Martiniere, 2003
Ce livre est une adaptation des « Carnets de justice », une des plus célèbres chroniques de Libération, créée en 1998 par Dominique Simonnot. Traces de sucre, texte de Patricia Dewames-Halkin, Editions Quo vadis, 2001 Michel Vanden Eeckhoudt est un photographe passionné par les petites choses de la vie ; il s'intéresse à une main et un couteau qui décollètent une betterave, comme à une pile de vieux sacs qui traînent, ou à une
malheureuse betterave prisonnière de fils barbelés. Il va même jusqu'à les photographier. Duo, texte de Danièle Sallenave, Editions Nathan/Delpire, 2000 Singe ou chien, animal étrange ou familier, Michel Vanden Eeckhoudt ne décrit pas. Il fixe l’instant d’une rencontre entre deux êtres si proches, si différents. Au-delà de l’insolite, d’une cocasserie qu’il souligne sans caricaturer, il y a un respect de l’autre, une tendresse, une humilité dans ses photographies qui les chargent d’une rare émotion.
Sur la ligne, texte de Gérard Dupuy, Editions Centre régional de la photographie, 1994
Autour de la ligne de la frontière, s'est aussi forgé, au fil du temps, un espace particulier marqué par la circulation des hommes et les projections mentales. La préoccupation de Michel Vanden Eeckhoudt pour ce type de lieux troublants et révélateurs a incité le Centre Régional de la Photographie à le solliciter. Zoologies, texte de Claude Roy, Editions Robert Delpire, 1982 « L'œil précis, froid et cruel de Michel Van Eeckhoudt nous oblige à voir ce que les badauds du zoo oublient peut-être d'apercevoir : que les bêtes dans leur enclos constituent la grande exposition permanente de la tristesse. »
Claude Roy