Maison de la Culture du Japon à Paris 101 bis qui Branly 75015 Paris France
Coorganisée par le Tokyo Metropolitan Museum of Photography et la Fondation du Japon, cette exposition présente les regards sur le voyage de cinq photographes et d’un vidéaste japonais : des visions subjectives et diverses de l’archipel nippon et d’autres pays, des scènes urbaines et des paysages lointains ou même imaginaires.
A cette occasion, la MCJP est partenaire de la deuxième édition de Photoquai, biennale des images du monde créée par le musée du quai Branly.
Six artistes japonais, six conceptions du voyage.
Kôji Onaka photographie ses « errances » dans l’archipel nippon qu’il sillonne tel un vagabond. Plus qu’un simple journal de voyage, ses images nous entraînent dans un Japon du quotidien appelé à disparaître.
Toshiya Momose affectionne les grandes métropoles : New York, Tôkyô, Istanbul, Shanghai… De l’Inde surpeuplée, il nous propose comme à son habitude des paysages urbains étrangement vides qui, paradoxalement, suggèrent d’autant mieux la présence de ses habitants.
Photographe reconnu, aventurier de l’extrême et alpiniste émérite, Naoki Ishikawa nous montre le mont Fuji tel que nous ne l’avions jamais vu. Ses photographies prises lors de l’ascension du volcan nous dévoilent un univers minéral âpre et parfois dangereux, loin des clichés de cartes postales de ce symbole du Japon.
Des terres enneigées d’une île au nord du Hokkaidô aux paysages subtropicaux de l’archipel d’Okinawa, le thème de l’insularité est au coeur du travail de Takeshi Dodo. Ses images témoignent de sa fascination pour ces territoires encore isolés malgré la modernisation, où présent et passé sont étroitement liés.
Sayuri Naitô a voulu photographier Lisbonne tel que le voient ses habitants. Mais de ces lieux qui pourraient nous sembler d’une grande banalité, elle sait révéler tout le charme, la beauté de la lumière, la douceur des atmosphères.
Enfin, ce sont des mondes imaginaires dans lesquels nous font voyager les oeuvres de Hiraki Sawa, vidéaste de renommée internationale. Ses vidéos sont comme des coffres dont le trésor serait un monde mi-réel, mi-onirique…
Ces voyages n’ont sans doute pas été de tout repos pour ces artistes exigeants. Pourtant, lorsqu’on regarde leurs oeuvres, on ne peut s’empêcher d’aspirer à les suivre, à découvrir à notre tour des lieux inconnus qui nous attendent au détour des chemins.
PARTIR AU LOIN
Satomi Fujimura
Conservatrice du Tokyo Metropolitan Museum of Photography Pourquoi part-on en voyage ? D’où provient ce désir d’aller vers l’ailleurs ?
Le choix du « voyage » comme fil conducteur de la présente exposition n’est pas dû à l’engouement actuel pour ce thème dans le monde des images au Japon. Le voyage est un sujet de prédilection de la photographie et du cinéma depuis leur commencement.
La présente exposition se focalise sur six nouveaux venus prometteurs, dépourvus de tout point commun en dehors du mot-clé : « voyage ».
Nous avons pris le parti de sélectionner des artistes possédant des approches du voyage très diversifiées, si bien que leur regard comme les lieux qu’ils photographient diffèrent totalement. A
travers leurs oeuvres, nous souhaitons apporter de nouveaux éléments de réflexion sur ce que l’on cherche dans le voyage, et sur les raisons qui nous poussent à partir.
Ce qui caractérise Kôji Onaka, parmi les nombreux photographes travaillant sur le thème du voyage, c’est la répétition de courts périples centrés autour de son lieu de résidence, Tôkyô.
De plus, il ne reste jamais au même endroit mais se déplace sans cesse.
Ni le sujet ni la finalité de ses photos n’apparaissent très clairement de prime abord. Il monte dans un train en direction d’un endroit qu’il aime bien, prend des photos, boit de l’alcool, et va se coucher.
Une composante universelle est toutefois perceptible dans ses oeuvres. Onaka lui-même ne les considère pas comme documentaires et pourtant on y retrouve les paysages originels d’un Japon en train de disparaître, à l’instar des images du Paris « du bon vieux temps » laissées par Eugène Atget, constituant ainsi les archives d’un Paris du XIXe siècle qui n’allait pas tarder à s’évanouir en fumée. Le terme « mémoire » est sans doute plus approprié au travail d’Onaka que celui d’ « archive ».
Atget s’attachait à observer ce qui appartenait au « bon vieux temps », ce qu’il importait « d’archiver ». Onaka règle lui aussi la focale sur les « choses du quotidien » et autres « objets en voie de disparition ». Il « archive » une « mémoire » en train de disparaître sous nos yeux.
Depuis longtemps, Toshiya Momose photographie inlassablement les villes de tous les pays du monde : New York, Tôkyô, Shanghai, Istanbul, Buenos Aires, La Havane, Delhi. Ses oeuvres ont toutes un point commun : elles représentent des paysages quasiment déserts, bien que situés au coeur d’une grande ville, des « paysages vides ». De son propre aveu, son regard se portait au début plutôt sur la structure et l’architecture moderne de ces villes, mais son intérêt a progressivement évolué vers l’espace désert des rues en retrait, à l’écart des artères principales. Paradoxalement, l’impression d’absence qui émane de ses photographies intensifie notre conscience d’une présence humaine dans ces lieux, et nous permet d’imaginer les silhouettes des habitants.
Cette exposition présente en exclusivité une nouvelle série de Toshiya Momose intitulée « Visions de l’Inde ». Momose se dit avoir été surpris de découvrir que même dans les villes indiennes, on pouvait capter des moments sans personne alentour, et ajoute qu’en s’éloignant des artères principales ce n’était pas si difficile à trouver. Cela vaut pour toutes les villes où il travaille, mais il doit préparer son matériel et guetter le moment où le lieu sera désert, si bien qu’il ne peut obtenir que 4 ou 5 prises par jour au maximum. Pour cette raison, il séjourne généralement près d’un mois dans une même ville, sans compter que s’il veut réaliser une série, il doit alors y séjourner plusieurs fois, plusieurs années de suite. Les voyages de Momose ne sont pas du type « passage », il faut plutôt les qualifier de « résidence ».
Auparavant, il mettait l’accent sur l’apparence même des villes mais à partir de sa série sur La Havane sa conscience des choses semble s’être déplacée vers la cité en tant que lieu (topos) chargé de vie humaine. Peut-être tente-t-il, à partir d’une « réalité » centrée sur le visible, de saisir la « fiction » d’un lieu vide de ses occupants.
Contrairement aux autres photographes présentés dans cette exposition, Naoki Ishikawa choisit souvent des sujets nécessitant des investigations préalables. Sans préparatifs sérieux ni équipement adapté, réaliser des photos au pôle Nord, par exemple, pourrait entraîner la mort.
Il explique que son scepticisme envers l’image stéréotypée du mont Fuji, « belle montagne pleine de majesté », utilisée de manière récurrente dans le monde de la photographie et de la peinture, a fondé sa motivation pour réaliser la série « Mont Fuji » présentée ici. Pour Ishikawa, le mont Fuji est une « montagne à gravir » et non « une montagne à contempler ».
L’ascension du mont Fuji en hiver est fort risquée pour qui n’est pas un alpiniste expérimenté, et même en été, on compte de nombreux accidents dus à des chutes ou autres causes. La série comprend des images prises par Ishikawa au cours d’une ascension, appareil en bandoulière, ainsi que des photographies aériennes et enfin des clichés de la Fête du Feu à Fuji-Yoshida, au pied de la montagne. Il est de fait difficile d’évoquer l’esthétique du mont Fuji à la vue de la surface de roches pleines d’aspérités que photographie Ishikawa.
Que ce soit le pôle Nord ou un lieu proche, situé au Japon même, Naoki Ishikawa les aborde tous avec le même regard impartial. Ses photographies nous enseignent que de nombreuses choses au monde échappent à notre observation simplement parce que, persuadés de les connaître, nous ne les regardons pas vraiment.Les « îles » constituent le sujet exclusif des photos de Takeshi Dodo. Parmi les 6852 îles que compte aujourd’hui l’archipel nippon en dehors de l’île principale de Honshû, il a jusqu’à présent pris des photos dans 66 d’entre elles, grandes et petites, en traversant le Japon du nord au sud. Comment a commencé cette démarche ? Quand il a arrêté son travail d’assistant caméraman en 2003 et qu’il est devenu free-lance, écrit-il, comme le temps était sa seule richesse, il s’est mis à voyager dans les îles sans but précis. Dodo dit avoir eu l’intuition que voyager à travers les îles de l’archipel lui permettrait de découvrir le vrai visage du Japon contemporain. Depuis, il les visite en choisissant son moment : celles du sud en été, celles du nord en hiver. Pour un album de voyage faisant juste la présentation d’une île, on photographierait sans doute ses festivités, ses lieux touristiques. Mais Dodo choisira un port peu fréquenté et les gens qui y travaillent, pour capter la vraie vie de l’île aujourd’hui, dans son quotidien.
De nos jours, grâce à l’internet et à la télévision, les informations parviennent en temps réel sur les petites îles habitées, au même titre que sur la grande île principale de Honshû. Mais il peut aussi arriver que l’approvisionnement soit interrompu plusieurs jours sur ces îles, parce que les ferries ne peuvent plus accoster ni les avions atterrir à cause d’un typhon par exemple. Si grande que soit l’égalité en matière d’informations, un sentiment de distance physique perdure encore aujourd’hui. Les photographies de Dodo mettent en relief les problèmes concrets et l’essence de la réalité de la vie sur une île. Ses oeuvres donnent à voir le déroulement d’un quotidien où se mêlent présent et passé, au sein de la communauté fermée que constitue une île.
Beaucoup de ceux qui connaissent bien les oeuvres de Hiraki Sawa, douteront sans doute de la pertinence du terme « voyage » à leur propos. Quand je lui ai demandé s’il aimait voyager il m’a répondu sans ambages avec un petit sourire : « Je déteste ça. » « Mais, a-t-il ajouté, c’est peut-être justement parce que je n’aime pas voyager, que je voyage à l’intérieur de mon imagination ».
Les vidéos de Sawa évoquent le « voyage »
parce qu’il utilise les moyens de déplacement comme motif : ainsi l’avion dans dwelling (2002) une oeuvre représentative de ses débuts, ou le chameau dans trail (2005) présenté à la Triennale de Yokohama. Elles commencent dans le monde réel (par exemple une pièce dans un appartement), avant de nous égarer dans le rêve de voyage d’autrui, avec les images oniriques d’un petit avion qui traverse la pièce en planant, ou d’un chameau qui longe le bord de la fenêtre.
Deux oeuvres de Sawa sont présentées ici. L’une est le clip pour la chanson small metal gods projeté sur le mur ; l’autre s’intitule hidden tree.
Dans cette dernière les images de Sawa sont présentées sur un moniteur placé à l’intérieur d’une petite boîte. La forme de cette oeuvre m’a évoqué aussitôt les boîtes de Joseph Cornell, cet artiste qui entassait divers objets dans des boîtes et faisait des collages. Mêlant réalité et imaginaire, ces oeuvres réalisées dans le studio et l’appartement londoniens de Sawa renferment un monde infini, pareil à ces espaces créées par des miroirs en abyme. La première fois que j’ai vu les photographies de Sayuri Naitô, c’était sur son site internet. Elle venait tout juste de publier son premier recueil et la photo de couverture était impressionnante, même vue sur un petit écran, avec ce pont rouge sous les couleurs tendres du soleil couchant. (La série présentée dans cette exposition est composée d’oeuvres tirées de ce recueil). Le titre (Le pont du 25 avril) faisait justement référence à ce pont rouge.
Quand je lui ai demandé pourquoi elle avait choisi le Portugal comme but de voyage, elle m’a répondu que lorsqu’elle a essayé d’imaginer le Portugal en regardant une carte de l’Europe, elle s’est rendue compte qu’elle ignorait tout de ce pays, qui avait pourtant entretenu dans le passé avec le Japon des liens étroits au point d’être mentionné dans tous les manuels d’histoire.
Comme dans les oeuvres de Toshiya Momose, les lieux sont presque déserts. « Je ne voulais pas faire de banales photos de voyage, mais plutôt adopter le regard d’une habitante. » Pour cette raison, Naitô a pris le parti d’éviter les lieux touristiques ou très fréquentés.
En voyage, elle est attentive non pas à l’aspect détaillé de la ville, tel que les habitants ou l’architecture, mais aux lieux en eux-mêmes. En fait, avant la série « Portugal » elle n’avait pas spécialement voyagé pour réaliser des photos. Sa publication précédente avait pour thème la rivière Tamagawa. Le Portugal et la Tamagawa sont des lieux égaux à ses yeux. Elle n’a pas besoin de distance pour voyager. Le « quelque part » qu’elle cherche existe aussi bien à vingt minutes de train qu’à vingt heures d’avion de l’endroit où elle vit au quotidien. Elle va certainement continuer à voyager en quête de lieux à photographier.Les voyages de ces photographes ne sont sans doute pas de tout repos, car dédiés à la création, entreprise douloureuse, exigeante. Pourtant, lorsqu’on regarde leurs oeuvres, on ne peut s’empêcher d’aspirer à les suivre. Et voilà que moi aussi, j’ai envie de partir en voyage. Je ne suis pas une créatrice, mais ces photographies m’ont appris que nombre de paysages et de lieux inconnus m’attendent encore au détour des chemins.
(Texte réalisé à partir du catalogue de l’exposition)
AUTOUR DE L’EXPOSITION
RENCONTRE
L’histoire de la photographie de voyage au Japon
Jeudi 15 octobre à 15h et 18h30
Salle de réception (niveau 5)
Entrée libre sur réservation à partir du 15 septembre au 01 44 37 95 95
En japonais avec traduction consécutive en français
Durée 2h
Satomi Fujimura est conservatrice du Tokyo Metropolitan Museum of Photography et commissaire de
l’exposition Voyages.
COLLOQUE
L’essor de la photographie au Japon, 1900-1945
Vendredi 4 décembre à 14h / Samedi 5 décembre à 14h30
Petite salle (rez-de-chaussée)
Entrée libre sur réservation à partir du 4 novembre au 01 44 37 95 95. Après avoir réservé
votre place, veuillez retirer votre billet le jour du colloque une demi-heure avant le début de
chaque session. En cas de non présentation, la place sera libérée.
Coorganisation INALCO, Centre d’Etudes Japonaises de l’INALCO
Colloque avec traduction simultanée en français et en japonais
Photo Nakaji Yasui, c. 1934
> Vendredi 4 décembre de 14h à 18h30
L’objet photographique
L’émergence d’une économie
> Samedi 5 décembre de 14h30 à 18h
Le regard critique
Les marges de la photographie
Intervenants
Anne Bayard-Sakai > Professeur à l’Inalco, directrice du CEJ
Tim Clark > Conservateur en chef des collections japonaises au British Museum
Sandrine Dalban-Tabard > Attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’Inalco
Claude Estèbe > Chercheur au Lhivic/Ehess et photographe indépendant
Ryûichi Kaneko > Conservateur au musée de la photographie de Tôkyô
Michael Lucken > Professeur à l’Inalco
Xavier Martel > Documentaliste au musée de la photographie de Bièvres
Toshiharu Omuka > Professeur à l’Université de Tsukuba
Morihiro Satô > Maître de conférences à l’Université Kyôto Seika
CONFERENCE
L’histoire de l’appareil photo au Japon – par Tetsurô Gotô
Mercredi 13 janvier (sous réserve)
Tetsurô Gotô est General Manager du Imaging Product R&D Laboratory, Nikon Corporation / Nikon Fellow.