Issue d’un long travail de réfl exion autour de la notion d’identité, la série Le Regard des Aveugles questionne la condition des aveugles au moyen d’une esthétique humaine et très sensible. Dans une démarche expérimentale et largement infl uencée par des études de psychologie, Georges Pacheco utilise la photographie comme un outil de compréhension et de connaissance de l’autre et de soi-même en étudiant l’autoportrait qui s’impose énigmatiquement comme le lien assuré entre intérieur et extérieur. D’ailleurs, ne dit-on pas que le visage est le refl et de l’âme ?
Pour se faire, George Pacheco élabore un dispositif simple et des consignes claires : « considérer cette séance photo comme un moment de totale liberté, prendre son temps et exprimer ce qu’on a envie ». De ces mots, il invite des malvoyants à participer à ses recherches en actionnant une petite poire reliée à l’appareil photographique pour s’auto photographier et réaliser leur portrait. Dans ce face à face avec soi-même, Georges Pacheco s’éclipse au profi t des aveugles qui, laissés seuls, s’affranchissent de leur statut de modèle pour devenir, le temps d’une prise de vue, l’unique photographe. Modèles, photographes, mais aussi objets et sujets photographiques.
Plus qu’une simple représentation de soi ou qu’une image que l’on donne à voir, ces photographies soulèvent des notions fondamentales de ressemblance, de reconnaissance et d’identité. Dans le cas d’un non-voyant se photographiant, ils résument une interrogation inhérente au projet de Georges Pacheco : comment et quelle image donner de soi quand on ne se voit pas ? En ce sens, la série souligne un paradoxe fort :
de quel regard parle-t-on ?
Dénuées de superflu et de détails anecdotiques, ces vingt photographies présentent toutes un autoportrait se détachant sur un fond sombre et neutre qui confère à l’ensemble de la série une certaine unité. Ni tromperie ni faux-semblants ne viennent perturber la lecture de ces visages authentiques qui s’offrent à nos regards. Tentant d’établir une correspondance entre l’image que l’on cherche à montrer, celle qui est immortalisée par un portrait et ce que l’on est fondamentalement, Georges Pacheco met en scène des modèles psychologiques : ce n’est plus tant une illusion de soi qu’un refl et intérieur qui se dégage de ces photographies, un refl et intérieur qu’il nous faut encore déchiffrer.
Troublant et déconcertant, Le Regard des Aveugles s’inscrit dans une forme d’intimité que les « Images désirs » accompagnant chaque photographie viennent renforcer.
Sous forme de petite description, elles nous dévoilent de lointains horizons et révèlent des souvenirs ou des rêves que ces « regards » ne peuvent voir... Confus, émus et gênés nous ne sommes plus uniquement spectateurs, mais devenons également regardeurs d’une sphère privée et témoins d’une différence et de la condition des aveugles.