55 photos, 40 artistes dont Utrillo, Picasso, Braque, Foujita, Despiau, Laurens, Arp, Léger, Dubuffet, Chaissac, Buffet, Lhote, Duchamp…etc
L’exposition du musée Angladon présente des clichés encore peu connus réalisés par Robert Doisneau au cours de reportages dans des ateliers d’artistes de son temps. Un face-à-face, généralement commandé par des rédacteurs en chef de journaux, notamment Match, Vogue et surtout Le Point.
Robert Doisneau apporte toujours une attention admirative et bienveillante à chaque personnalité, qu’elle soit amicale ou réservée, d’apparence ordinaire ou originale. Il privilégie souvent l’aspect matériel du métier de peintre et de sculpteur mais suggère un mystère autour de la personnalité de l’artiste rencontré. Par un détail révélateur, une lumière sur une fenêtre, la pénombre d’un entassement de tableaux retournés, il contribue à nous faire partager un moment d’intimité au coeur des lieux secret de la création.
NOTES SUR LA CARRIERE DE ROBERT DOISNEAU 1912-1994
De Gentilly, où il est né, à Montrouge, où il a son atelier jusqu’à sa mort en 1994, la banlieue de Paris est l’univers de prédilection de Robert Doisneau et sans doute un de ses thèmes les plus célèbres.
Formé comme graveur lithographe à l’Ecole Estienne à Paris, ce qui ne lui servira guère, Doisneau réalise ses premières photos en 1929 et choisit bientôt ce métier, soutenu par l’artiste André Vigneau, qui lui confie la tâche d’assistant photographe.
Comme il doit gagner sa vie, il travaille pendant quatre ans dans le modeste service publicité des usines Renault.
Après la guerre, il travaille surtout pour l’agence Rapho mais aussi comme photographe indépendant. Son oeuvre est couronnée du prix Kodak en 1947 et du prix Nicéphore Niepce en 1956.
Devenu célèbre, il conserve une grande simplicité et une grande humanité.
Il raconte ses souvenirs sous le titre A l’imparfait de l’objectif en 1989 et édite plusieurs livres, certains en collaboration avec des amis, comme Cendrars ou Pennac. Pour ses 80 ans, Sabine Azéma lui offre d’être le sujet du film Bonjour, Monsieur Doisneau. Deux autres films sont réalisés sur son oeuvre.
A sa mort en avril 1994, il laisse à sa famille une oeuvre riche de plus de 400 000 négatifs, dont on découvre au fil des années les richesses insoupçonnées.
LA PLACE DE ROBERT DOISNEAU DANS L’HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE
Robert Doisneau fait partie du courant de la photographie humaniste qui débute dans les années 30 et connaît son apogée entre 1945 et 1950.
Ce style photographique qui se caractérise par une exaltation de l’être humain dans sa réalité quotidienne, est indissociable de l’arrivée des loisirs dans la société à l’époque des congés payés mais aussi des difficultés économiques de l’immédiat après-guerre. Dans un contexte où la France a du mal à se reconstruire, Robert Doisneau va capter, à travers un réalisme poétique sans pareil, à la fois les injustices et les petits bonheurs de la vie.
Il se définissait lui-même non comme un chasseur mais comme un pêcheur d’images, un braconnier, aimant flâner sur les pavés de Paris à la rencontre de personnages typés, surpris dans leur lieu de vie, immortalisant leurs attitudes comme des instants de grâce.
En ce début des années 30, la photographie commence à s’imposer dans la presse illustrée, les appareils-photos sont plus légers, plus maniables, tel le fameux Leica 24x36 qui permet la déambulation. Mais surtout, elle cesse d’être seulement un document scientifique pour prendre part aux grands mouvements internationaux de l’avantgarde artistique.
Les collaborations entre photographes et écrivains sont nombreuses et les ateliers d’artistes à la mode. C’est ainsi qu’en 1937, Doisneau, nouvellement installé dans un atelier de peintre à Montrouge en banlieue parisienne, réalise son premier reportage sur un artiste dans l’atelier de Fernand Léger. Il va photographier par la suite d’autres voisins d’atelier mais aussi Picasso, Braque, Foujita, Marcel Duchamp pour des commandes de revues telles que Le Point ou Vogue. Préoccupé par un regard, un geste trahissant la fragile destinée de l’artiste il les saisit comme des gens ordinaires, des artisans dans leur atelier.
Dès la fin de la seconde guerre mondiale et jusqu’au milieu des années 50, la photographie humaniste trouve un succès grandissant à travers une très forte demande des institutions française et des agences de photographies comme Rapho où Doisneau fait son entrée aux côtés d’Edouard Boubat, Willy Ronis et Jean Dieuzaide.
PROPOS ET SOUVENIRS DE ROBERT DOISNEAU
J’ai sauté dans la photographie quand elle était en bois.
Un photographe était méprisé comme un forain, comme un camelot… Le nez dans le capuchon du viseur permettait une attitude respectueuse, presque une génuflexion, qui convenait à ma timidité et protégeait la facilité de l’instrument.
Est-ce un instinctif réflexe de survie qui m’a poussé à faire tant d’images depuis un demi-siècle ?
Le désir de prendre possession des apparences fugitives peut-être, ou plus simplement une façon de marquer ma joie d’être au monde et d’y voir clair. [ …]
Je me suis inventé des règles d’un jeu où l’humour et la pudeur viennent me servir de limites [ …] Il faudrait être bien savant pour expliquer comment la pesanteur d’un processus optique-mécanique-chimique peut laisser filtrer l’allégresse d’un moment privilégié. [ …] Finalement, peut-être ai-je fait toutes ces images avec le secret espoir de me découvrir de nouveaux amis ?
22 juillet 1987. Mes Parisiens.
Il est des jours où l’on ressent le fait de voir comme un véritable bonheur… on se sent si riche qu’il nous vient l’envie de partager avec les autres une trop grande jubilation.
1982. 3 secondes d’éternité Je n’ai jamais bien cherché pourquoi j’ai fait des photos. En réalité, c’est une lutte désespérée contre l’idée qu’on va disparaître … Je m’obstine à arrêter ce temps qui fuit. Ce qui est une folie complète. 1991.
ROBERT DOISNEAU ET LES ARTISTES
Visite aux peintres
Quand je suis las de traînasser, je vais me refaire une santé dans l’odeur de térébenthine et le calme des ateliers…Je les regarde faire, assis dans mon coin et, observant leurs gestes, je crois avoir percé le sens de quelques unes de leurs manigances. Avec un calme affecté, […] Ils prennent un malin plaisir à créer des désaccords de tons, lesquels se chamaillent, s’agitent, puis, un coup de pinceau par-ci, par là, et la brouille apparemment s’apaise.
Reste sur la toile, comme par miracle, le frémissement de la lumière.
BRAQUE
Il m’avait toujours accueilli avec beaucoup de bienveillance quand je venais rue du Douanier (à Paris) faire quelques travaux de sélection couleur. Les gestes du métier l’intéressaient. Ma façon de canaliser la lumière à l’aide de vieux journaux paraissait l’amuser. Il ne me quittait pas des yeux pendant l’opération.
Il avait probablement ce besoin de paix et de silence qu’il faisait régner autour de lui.
Que ce soit à Paris ou à Varangeville, les toiles étaient disposés de la même façon, certaines appuyées le long des plinthes, d’autres posées à même le sol. Il y avait également deux chevalets avec des ébauches. C’était l’aquarium.
Braque baignait dans Braque.
Tous ces objets, les drôles de pupitres faits d’une branche fourchue, les statues nègres, les coquillages, tout un
ensemble qui ailleurs, aurait pu paraître hétéroclite entrait sagement dans l’ordre de la maison.
Il y a des gens qui posent bien…Braque, les pieds dans ses charentaises, quel seigneur !
FERNAND LEGER
La peinture de Fernand Léger est sans reflets et comme une bonne fille se prête docilement à l’acte de reproduction.. Ce point de vue de photographe a été négligé par la critique.
Je vois encore la grande toile, le châssis posé le long d’un mur qui montait jusqu’au plafond. La baie vitrée envoyait un éclairage désastreux.
J’étais seul dans l’atelier pour amener la grande toile sous une lumière plus convenable.[…] Affreux bruit de toile crevée, embrochée par deux projecteurs. Il est des jours où on n’a pas la main heureuse.
Le tableau était destiné à Douglas Cooper pour son château de Castille.
De tous les peintres du 20e siècle, Fernand Léger est certainement le seul capable d’accueillir cette nouvelle, somme toute mauvaise, sans provoquer le drame.
La toile a été marouflée, stoppage qui n’a laissé d’autre trace que celle de ma profonde gratitude.
PABLO PICASSO
Picasso quel modèle !
Picasso, c’est un merveilleux acteur... on lui donnait un torchon de cuisine, il faisait le toréador avec.
Tous ceux qui ont approché Picasso pour faire des images ont été couverts d’une légère poussière d’or DIEGO GIACOMETTI
Giacometti est un infatigable travailleur. Ces figures qui l’entourent le disent. Elles ont l’étroitesse de son atelier lui-même
CITATIONS (extraits des vidéos de Sabine Azema et Patrick Cazals)
La lumière du matin me mettait en route ce n’était pas raisonné… C’est intéressant parce que fugitif.
La beauté pour être émouvante, doit être éphémère… Voir, c’est parfois construire avec les moyens du bord un petit théâtre et attendre les acteurs.
Adopter une attitude souriante ; s’attirer la bienveillance du hasard La lumière du matin fait l’inventaire des choses, souligne les détails La lumière du contre-jour est méchante, elle ne détaille pas, elle accuse La Lumière du soir caresse
La célébrité c’est un mot qui me semble comique
Je ne peux pas être un notable, je n’ai aucune certitude
Je suis une bête instinctive, un braconnier
On cherche à m’enfermer dans un personnage : on me parle de pittoresque, je vaux mieux que cela.
il vaut toujours mieux suggérer que d‘affirmer
L’image est comme une graine qui va germer dans l’esprit de l’autre