HAMID SARDAR-AFKHAMI, COURTESY GALERIE THIERRY MARLAT
Galerie Thierry Marlat 2, rue de Jarente 75004 Paris France
DARK HEAVENS - SHAMANS ET CHASSEURS DE MONGOLIE
J'ai commencé mes expéditions en Mongolie en 2000. Mon but était de créer un inventaire photographique des nomades et de déceler la part de sagesse enfouie au sein de leurs coutumes et de leur mode de vie avant qu'ils ne soient séparés de leur environnement naturel et spirituel. Ces voyages nécessitaient de pouvoir, d'une part, supporter un régime avec peu de légumes et, d'autre part, d'éprouver le désir de parcourir de longues distances à dos de cheval, de chameau et de rennes - et si nécessaire, de les consommer.
Etant complètement coupé de toute civilisation urbaine, étrangement, je me sentais protégé au sein de ces régions sauvages mongoles. On y découvre une résonance entre l'animal et l'homme que l'on ne retrouve pas dans d'autres lieux moins primitifs. J'ai rencontré ce vieil homme dans le désert de Gobi qui, avec son violon, a ému un chameau aux larmes et lui a fait adopter un chamelon abandonné. J'ai vu un lama Buryat qui a fait venir les loups à sa porte en entonnant un chant ancien. J'ai chevauché les monts d'Altaï avec des bergers Kazak qui m'ont appris à capturer des aigles dorés dans leurs nids et à les entrainer à chasser, avant de les relâcher dans la nature. Ce mysticisme écologique qui lie l'animal à l'homme est devenu le fil conducteur de ce travail artistique.
Dans la culture nomade, l'art - la mémoire en sorte - est inconcevable sans ces connections totémiques à la nature et à son fabuleux bestiaire. La notion de transformation en animal est l'aspect le plus important de la religion eurasienne. C'est un élément qui sommeille au sein de chaque individu et avec lequel la civilisation urbaine contemporaine cherche à se reconnecter.
Ces anciennes croyances résonnent plus qu'ailleurs dans les rituels des chasseurs et des shamans de Mongolie, qui chassent encore, qui se guérissent et qui se souviennent de leurs esprits ancestraux à travers cette profonde identification avec l'animal.
Durant l'hiver, j'ai souvent voyagé avec le peuple renne de Tsaatan et suis resté aux cotés de Tsuyanqua une vieille shaman centennaire. Les jours impairs de la lune croissante, elle entrait en transe et se transformait en renne mâle. Elle s'envolait vers un lieu appelé Dark Heavens (les cieux obscures) : un monde crépusculaire remplit de lumière, de sons et de voix où les ancêtres, qui ont pris l'aspect d'animaux totémiques, révèlent leurs messages cachés. "Nous existons en relation avec trois choses," disait Tsuyanqua, "...la nature, les animaux et la mémoire de nos ancêtres. Une fois que nous oublions cela, les anges gardiens nous abandonnent et les démons s'emparent de notre destin."
Au sein de la société contemporaine, les artistes ont remplacés les shamans. Leur rôle est de ramener des messages d'un monde intemporel auquel ils ont accès; un monde parallèle de lumière et d'ombres où tout est lié. Sans cette habilité à pénétrer l'intemporel, l'art perd le pouvoir de remémoration.
Ce récit photographique est un hommage au peuple nomade remarquable dont la mémoire est restée intacte. Pour eux, le monde ensoleillé des vivants n'est qu'un reflet d'une plus vaste continuité spirituelle. Celle-ci est constitué de cieux et d'ancêtres, dont ils se souviennent perpétuellement à travers le fabuleux panthéon des "animaux esprits", qui leur éclair le chemin.
Hamid Sardar-Afkhami, Paris 2009