A la lecture des différents textes consacrés au travail de Philippe Brame, il apparaît clairement deux axes de travail qui se rejoignent et induisent inévitablement l'étendue des sensations éprouvées devant ses photographies.
L'épure, d'une part, avec le choix délibéré de s'arrêter sur le « détail » (qui ne doit pas être compris comme l'élément anecdotique mais au contraire ce qui fait l'essentiel de ce qui est montré)
Le duo Ombre/lumière serait à la limite du Caravagisme 3, si ce n'était pour offrir des images aux éclairages naturels souvent légers, parfois plus tranchés. Le photographe ne met pas en scène, il offre un regard. L'ombre se joue du relief, la lumière même ténue invite, comme dans la série des églises, à la contemplation, au silence. Il nous permet d'accéder à un instant privilégié volé au temps. Celui là même où il est resté à attendre.
Le moment de l'image capturée en une fraction de seconde semble, alors, devoir durer une éternité?...l'ombre qui procède de la fragilité et la force de la lumière offerte est instantanée, ses photographies ne le démentent pas « l'ombre d'un instant ». Le spectateur sait, lui aussi, que le moment suspendu va disparaître, a disparu et que ce qui est offert à voir le place dans l'immédiateté de la vie.
« S’il y a donc une opacité des “ombres portées” par les corps, il y a également une ombre du blanc, une “lumière portée”, une lumière-temps quasi immatérielle. »4 a t' on envie de reprendre pour le compte de Philippe Brame.
Mais ce qui fait l'essence du travail du photographe est clairement exprimé par son « Maître » Celui qui connaît, transmet son savoir et offre bien plus qu'un simple « héritage »:
« La photographie parle. Notre regard écoute...Les ombres portées peuvent disparaître comme le soleil en une seconde, et transformer tout ce que je vois mais le regard reste immuable, il inscrit ce que je vois en permanence au cœur même du mouvement. Prenons par exemple cet œil de cheval, Philippe Brame a le culot de montrer l'œil d'un animal suffisamment riche contrairement à ce que l'on croit, et c'est essentiel. Peut être sait-il attendre que ses yeux s'ouvrent à travers la matière du sujet, au lieu de se complaire à raconter.
Ce matin, j'ai repris une conversation commencée avec lui il y a trois ans, avec pour exigence d'enlever les « scories » encore présentes dans ses œuvres. J'ai « découpé de l'œil » recadré jusqu'à exclure toute anecdote. J'aime ce qu'il apprend à regarder. J'aime lui entendre dire: l'espace est dans le sujet s'il est vraiment regardé,aussi ce n'est pas la peine d'en rajouter. Il n'y a pas de mise en espace, ou alors il n'y a pas de sujet. L'objectif du photographe est ici. La vie rien moins que la vie, de ce moins tellement plus! Merci à toi » Lucien Hervé 3) à Paris le 27 avril 2002.
Un échange:
Ronchamp, sur les traces d’Hervé« Fin mai 2007, un frère franciscain vient à ma rencontre pour me proposer de poser mon regard sur la chapelle de Ronchamp construite par Le Corbusier dans les années cinquante. Lucien Hervé qui fut le photographe de Le Corbusier m’avait déjà parlé de cet édifice particulier et de la manière dont il l’avait photographié. Je répondis à ce franciscain que j’allais méditer et que je lui donnerai une réponse en juin. Le jour de ma réponse, j’appris la mort d’Hervé, étrange coïncidence, ma peine m’invita à l’ouvrage…
Les prises de vues furent effectuées durant les solstices et les équinoxes de 2008 et 2009, je voulais transposer mon approche de Vézelay effectuée quelques années auparavant à Ronchamp que je définissais comme de même "nature", considérant toutes les transpositions fondamentales que demandait le passage entre XIIe et XXe siècle…
Ronchamp, sur les traces de Lucien Hervé est une exposition composée de différents formats de tirages noir et blanc et couleur qui dialoguent les uns avec les autres comme différents pupitres ou sonorités d’un orchestre de musique "romane contemporaine"… Les six œuvres présentées sont extraites de la partition centrale, ce sont des photographies couleurs qui pour certaines, s’apparentent plus à de la photographie noir et blanc, je les appelle d’ailleurs "blanche" ou "noire" en référence à l’écriture musicale qui se joue dans la résonance entre les différentes photographies et leurs formats. Ici la lumière procède du noir comme l’annonce "blanche/1", les couleurs sont lignes "ligne 1" ou encore "ligne 3" avec des sonorités d’instruments à vent ; à chaque nouvelle articulation des œuvres, un silence prend la direction musicale jusqu’à ce qu’une musique visuelle prenne formes, volumes, contrastes. Le puzzle sonore montre et démontre l’infinie présence de cette architecture de lumière. »
Philippe Brame, vit une histoire d'amour avec la Hongrie (pour la première fois il y a 20 ans) Il y travaille et retourne dans « son second pays » régulièrement pour visiter ses amis, pour enseigner la photographie et y exposer. En 2009, à la Pintér Szonja Kortárs Galéria, Il présente 90 de ses clichés, illustrant les thèmes majeurs de son œuvre pendant ces dernières années. Un espace présente ses corps espacés, un autre avec des photographies en couleur de Ronchamp, une autre salle propose un dialogue entre l'église de Vézelay et celle de Le Corbusier, puis une dernière avec des mélanges clin d'œil...
Béatrice Meunier/ Artothèque éphèmère/ ORCCA/ Région Champagne-Ardenne. Le 22 mars 2010.
2)Lucien Hervé (1910-2007) est l'un des rares photographes français à allier philosophie humaniste et pensée architecturale. Ses cadrages en plongée, ses vues en oblique, un certain dépouillement et une volonté
d'abstraction caractérisent un style photographique très différent de celui de ses contemporains.
3)en référence à la lumière qui semble émaner des objets eux-même
4)L’OMBRE DU BLANC, Préface du catalogue Bernard Moninot Galerie nationale du jeu de paume, Christine Buci-Glucksmann , Paris, 1997