Né le 3 septembre 1928 à Metz, Gilles Ehrmann était un photographe exemplaire des trente années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, une époque où la photographie n'était pas considérée comme un art. Elle n'était pas dans les musées mais dans la presse, les livres, la publicité. Aussi, Gilles Ehrmann a beaucoup voyagé, publié, illustré. Dans ce carcan où le photographe était au service d'un projet, il a pu mener des recherches personnelles, qui étaient marquées par la poésie et le surréalisme et qu'il a développées dans des livres.
On retiendra d'abord qu'il a été, à partir de 1956, avec Edouard Boubat et Jean-Philippe Charbonnier, un des piliers du magazine Réalités, un mensuel illustré qui, de 1946 à 1978, a publié de nombreux reportages, souvent empreints de poésie, sur le monde et les phénomènes de société.
On a pris la mesure de l'oeuvre de Gilles Ehrmann lors de l'exposition de cent photos organisée par Michel Roudier à l'abbaye aux Dames de Saintes, durant l'été 1998, avant d'être reprise à la galerie de photographie du Château-d'Eau, à Toulouse. L'exposition était accompagnée d'un livre, Gilles Ehrmann, photographe, préfacé par Jean-Claude Lemagny, avec un texte de Jean-Luc Mercié (éd. Le Temps qu'il fait).
Dans le compte rendu du Monde, Valérie Cadet vantait cette oeuvre "marquée au sceau de la poésie et de l'errance", dont les trois influences majeures seraient le portraitiste August Sander, le photographe moderne américain Paul Strand et le reporter Robert Capa.
La forme poétique et le reportage. Ehrmann est là. Cette forme poétique surréalisante, on la retrouve surtout dans ses livres. On retient Les Inspirés et leur demeure, avec une préface d'André Breton (éd. Le Temps qu'il fait), pour lequel il obtient le Prix Nadar du meilleur livre de photographies de l'année, en 1963. Ces images, réalisées entre 1955 et 1960, évoquent l'univers d'Hippolyte Massé, le facteur Cheval, Raymond Isidore, Gaston Chaissac...
Citons encore Provence noire, publié en 1955 aux éditions du Cercle d'art, soit "quatre ans de travail brûlés sous les auspices du surréalisme et de Parménide".
A propos d'André Breton, Gilles Ehrmann disait : "On a voyagé ensemble, loin du fortuit." A la mort du poète, l'épouse de ce dernier a demandé à Gilles Ehrmann de dresser l'inventaire photographique de l'atelier du 42 rue Fontaine, qui déboucha sur un livre en couleur, avec un texte de Julien Gracq, publié trente ans plus tard, en 1997 (éd. Au Fil de l'Encre).
"Dans la photo, soutenait Gilles Ehrmann, il y a une recherche de matière qui peut aboutir à une impasse : une belle photo. Mais la lumière dépasse la matière. Avec la couleur, on arrive vite à l'hyperréalisme du monde, c'est pour cela qu'il faut la décolorer pour arriver à une haute lumière."
Cette haute lumière colorée est remarquable dans un album de photographies issues de ses voyages au Népal, en Inde, et en Afghanistan, publié en 1993 aux éditions Hazan avec un texte de Jean-Claude Lemagny.