vue de l'exposition "Davao" à Berlin
Galerie Camera Obscura 268 Boulevard Raspail 75014 Paris France
Ces images ont été réalisées à l'automne 2006 et au printemps 2007 dans la ville de Davao, dans le sud-est des Philippines. Davao est, après Manille, la seconde ville du pays, mais ressemble plus à un énorme conglomérat de villages qu'à une métropole, et reste donc dominée par une vie agricole et campagnarde. Le catholicisme espagnol et le style de vie américain sont des legs de l'histoire coloniale de ce pays, mais les gens de la campagne ont conservé les cultes animistes et la mythologie traditionnelle, antérieure à la présence étrangère.
J'ai ramené de Davao une série de portraits et de natures mortes inspirées par cet esprit animiste. J'ai tiré ces images sur papier argentique noir et blanc et je les ai rehaussés de peinture à l'huile pour leur donner quelque chose de l'atmosphère tropicale dans laquelle ils ont été réalisés.
Ingar Krauss
Le portrait est certainement l'un des genres les plus pléthoriques de l'histoire de la photographie. Il est donc d'autant plus frappant de rencontrer un regard original dans ce domaine. Pour ma part, je dois la découverte du travail d'Ingar Krauss, jeune photographe de Berlin-est, à Paolo Roversi, qui me l'a fait connaître avec enthousiasme : cet hommage d'un maître du portrait avait de quoi éveiller ma curiosité.
Krauss a commencé à photographier, en ex-RDA (un village près de la frontière polonaise) et en Russie, des enfants et des adolescents dont la gravité dénotait déjà une perte de l'innocence. Des enfants ayant déjà une biographie et une blessure (certains ont été photographiés dans des orphelinats en Russie). Son premier livre publié en 2005 par Hatje Cantz était marqué par cette atmosphère de nostalgie propre aux pays de l'ex-bloc soviétique, contrastant avec la juvénilité intemporelle des visages.
La photographie d'Ingar Krauss présente un paradoxe de douceur et de brutalité. Ses modèles, souvent juste à la sortie de l'enfance, ont cette pureté soumise déjà aux déchirements et aux excès de l'adolescence. La forme est simple en apparence, mais subtilement maîtrisée (superbe lumière irradiant des personnes). On pense à la naïveté d'un studio populaire, à l'extraordinaire réussite de certains d'entre eux : donner une place dans un cadre à des corps qui n'y semblent pas préparés, qui sont sans défense et sans apprêt par rapport à l'image, et dont la présence est d'autant plus puissante.
Dans cette nouvelles série réalisée aux Philippines, Krauss a su retrouver la forte présence de ses portraits, mais il a de façon très intéressante étendu sa gamme (et l'acception du terme) en réalisant aussi des "portraits" d'animaux et d'objets. Plus que de natures mortes, il s'agit bien en effet de portraits, "inspirés par l'esprit animiste" des habitants de Davao.
Ingar Krauss réalise lui même ses tirages : ceci n'est pas anecdotique dans son cas et participe d'une façon décisive à sa création. Ils sont généralement de taille assez importante (de l'ordre du mètre) pour imposer, plus qu'une image, une présence, et le traitement légèrement coloré du noir et blanc (par virage ou, dans la série de Davao, par rehauts de peinture), leur donne une musicalité sourde, participe à la singularité de leur atmosphère.
Didier Brousse
Vernissage le mardi 28 avril de 18h à 20h en présence de l'artiste