La Chine, ou plus précisément la République Populaire de Chine est un grand pays. Un très grand pays. En tout cas par sa superficie de 9 677 009 kilomètres carrés - ce qui la place au troisième rang mondial - et par sa population, estimée à 1 400 millions, ce qui représente le cinquième de l’humanité.
Cette immensité est évidemment synonyme de diversité et elle a, de tout temps, fasciné les photographes montagnes luxuriantes, bords de mer et grandes steppes, mais aussi costumes et folklores propres à attirer les amateurs d’exotisme, a fait de la Chine un des pays photographiquement les plus riches. Puis il y eut la politique, la Révolution, la mythologie maoïste, les grandes signatures photographiques. Il s’agissait là, essentiellement, de photographes occidentaux, puisque ce n’est que depuis peu que l’on commence à s’intéresser à l’extraordinaire imagerie de propagande produite par le régime.
Puis, depuis une quinzaine d’années, accompagnant la spectaculaire transformation capitaliste d’une économie qui s’affirme pourtant toujours fidèle aux grands principes du communisme, on a découvert des photographes chinois, essentiellement documentaires, venus d’un peu partout dans le pays, et des artistes utilisant la photographie ont occupé une place grandissante sur le marché contemporain, et des patronymes chinois sont devenus familiers de records dans des ventes aux enchères.
Luo Dan ne fait pas encore partie de cette petite élite sur laquelle s’est vite abattue la spéculation. Et pour cause : il n’a encore pas exposé en dehors de la Chine. Pourtant, sa proposition photographique est tout à fait originale, voire déroutante. Et également subtile, séduisante, pleine de sens.
Dans des couleurs savantes, fines, douces, sans effet, il a su trouver à chaque fois la distance exacte, la respiration juste par rapport à ce qu’il installe dans le rectangle ou le carré avec une sérénité permanente qui rend encore plus surprenantes les situations qu’il fige. Il a choisi un dispositif à la fois simple et efficace de voyageur presque désabusé par l’impossibilité de cerner l’immensité : il a parcouru son pays du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Et, au cours de ce périple, il évite tous les clichés auxquels ne résistent bien souvent pas les regards extérieurs.
Aucun exotisme, mais plutôt des surprises, des rencontres, au tournant de la route, du haut d’une colline, au hasard des instants fragiles qui s’offrent au promeneur. Alors, plus d’anecdote, plus de grande ville, plus aucune foule. Seulement des individus, souvent énigmatiques, qui semblent se confronter à des fantômes de constructions, de bâtiments dont on ne sait plus s’ils sont en devenir ou définitivement abandonnés. Comme des monuments du dérisoire qui serviraient de décor à la solitude d’enfants jouant sans enthousiasme et d’adultes que l’on sent en porte-à-faux avec le paysage qu’ils contemplent. Et ce d’autant plus que tout est nimbé d’une grisaille dont on ne sait plus si elle due au brouillard ou à la pollution.
Luo Dan nous projette dans une Chine flottante, en suspension, sans certitude, qui n’a rien à voir avec les démonstrations de force des tours arrogantes des grandes villes ou des Jeux Olympiques. Il nous convoque dans un pays irréel, plus résigné que triste, qui ressemble peut-être à ce qu’éprouve la majorité de ses contemporains qui n’ont pas été conviés au partage de l’enrichissement subit et spectaculaire de quelques-uns.
Le plus troublant, le plus touchant, c’est que cette Chine-là, si elle n’est en rien brillante ou clinquante, dégage un charme aussi indéfinissable que profond.
Christian Caujolle