Hôtel Hèbre de St-Clément 63 Avenue Charles De Gaulle 17300 Rochefort France
Cette exposition présente le travail photographique de Daniel Nouraud. C’est une invitation à poser un regard qui affleure entre terre, ciel et eau pour une lecture sensible du territoire de l’arsenal maritime, définissant des paysages spécifiques du fleuve Charente.
Les yeux dans l’eau, le photographe modifie notre point de vue et incite à regarder différemment le paysage. Les prises de vues, métisses de la terre et de l’eau, sont inévitablement décalées, surprenantes.
Cette série de photographies nous sensibilise à l’évolution du territoire, alimente notre réflexion sur le paysage et exprime une vision sensible et singulière du patrimoine naturel.
« Quel est ce point de vue ? Qui se tient ainsi tapi entre l’eau et la terre, entre le jour et la nuit ? Pas un homme rationnel et technique d’aujourd’hui. Plutôt quelqu’un qui aurait une mémoire très ancienne de l’espèce. Qui aurait conservé, tapi dans un coin de son cervelet, la mémoire du premier organisme, au cours de l’évolution, qui s’est hissé hors de l’eau pour tenter de vivre dans l’air, mais un air encore aqueux, dans un monde où l’eau était encore mêlée au limon originel.
Ce point de vue, c’est aussi celui d’un futur très lointain, d’après l’ère industrielle. Il n’y a pas d’humains dans ces photos. Mais parfois les traces d’une civilisation disparue, que les éléments naturels auront bientôt effacées de la surface de la terre.
La géométrie des architectures humaines ne pèse pas bien lourd par rapport aux constructions baroques et éphémères d’une nature en plein bouillonnement. La Création ne s’est pas arrêtée au sixième jour. La lumière le dispute toujours aux ténèbres qui envahissent encore le bas de l’image. La bouche d’ombre n’a pas dit son dernier mot. La ligne d’horizon est encore en fusion. L’érosion continue. Le tsunami est quotidien. La nature fait de l’action painting.
Ce qui émerge, ce qui se dresse, ce qui a forme stable et géométrique, a peu de chances face au sourd mouvement perpétuel des éléments. L’obstination des hommes à résister à ces forces naturelles est à la fois touchante et pathétique dans ces tours de Babel rouillées, ces échelles de Jacob désaffectées…
Devant ces photos, on peut avoir l’impression que ce n’est pas le photographe qui imagine des formes picturales et fantastiques, mais la nature elle-même dans cet estuaire où les eaux se rencontrent, où la vase hésite entre devenir terre ou eau, où ciel et lumière sont si changeants.
Pour saisir la Création en action, indéfiniment non finie, il fallait un homme qui soit depuis longtemps immergé dans ce paysage, qui en connaisse chaque métamorphose. Il fallait que cet homme soit aussi un photographe libre et souverain, capable d’oublier tous les préjugés sur son instrument de travail. L’appareil photo est censé capter des instants figés. Daniel Nouraud s’en sert pour rendre visible ce que nous ne sommes plus capable de voir : le mouvement permanent des éléments. Le pouvoir de séparation de l’objectif photographique se retourne entre ses mains en un pouvoir contraire : celui de re-fusionner ce que nous percevons ordinairement comme séparé. La lumière n’est plus ce qui éclaire des objets inertes mais une forme en soi, primordiale, vivante et en perpétuel changement.
Alain Bergala : Écrivain, Critique, essayiste, réalisateur et professeur de cinéma français