Exposition
29 avril – 20 mai 2005
espace apollonia
12 rue du Faubourg de Pierre 67000 Strasbourg
lun.-ven. : 10h-12h /15h-18h
ouverture exceptionnelle les 31 avril et 1er mai : 14h-18h
fermé les 5 et 6 mai
Vernissage : jeudi 28 avril 2005 à 19h en présence des artistes
Entrée libre
La Femme fantôme
L'art du banal, le traitement de la couleur, le corps… Se référer à ces trois thématiques, tel qu'elles s'inscrivent dans le champ de la création contemporaine en photographie, donne un premier accès à l'analyse des images de Natacha Paganelli et Thomas Lang. Ces artistes, qui font œuvre ensemble depuis 1996, ont en effet produit, au fil d'une résidence d'artistes à Casablanca, Fès et Rabat en 2002 et 2003, une série photographique intitulée Petites histoires marocaines traversée, constamment, par ces trois sujets.
L'art du banal, d'abord, est porté par des intérieurs domestiques, une multitude compulsive et désordonnée d'objets aux usages potentiels, et des situations anodines dont on sait, depuis l'invention de la photographie, qu'un subtil déplacement des choses les fait basculer dans l'étrange. La couleur, ensuite, dès lors qu'elle est explorée dans le cadre de cette esthétique de l'ordinaire et du singulier, participe d'un traitement plastique ouvrant sur le merveilleux. Ce genre, un lieu l'active d'images en images : la terrasse marocaine, espace méditerranéen, scène et accueil de la lumière, théâtre d'histoires quotidiennes et bigarrées.
Enfin, le corps, signature en creux des artistes dans l'image, perpétuel vacillement de l'humanité dans l'espace, le corps, fait de lévitations, de suspens, de fragments et de torsions, lie aussi cette œuvre aux expérimentations contemporaines sur le corps des images elles-mêmes, leur mise en abyme dans la figuration.
Toutefois, la série Petites histoires marocaines procède initialement d'un scénario, dans lequel interviendra la part d'aléatoire, d'improvisation inhérente à toute mise en scène, de jeu que permet un réglage, à chaque fois différent, du temps de pose de l'appareil.
Puis, cette série progresse, méthodiquement, au fil de la biographie de Natacha Paganelli et Thomas Lang : leur expérience face au monde marocain qu'ils découvrent en même temps qu'ils composent leurs images. Aussi, les événements initiant des photographies, une question se pose vite : que font Natacha et Thomas ? Absurdité du tourisme ? que des sacs de couchages figureraient alors ? D'autant qu'il y a une indolence dans ces images. À moins que ce ne soit, peut-être, le tourisme de l'art ? qui interroge la légitimité de l'artiste en transit, l'appréciation des critères esthétiques qu'il met en œuvre à l'instar de cette pièce où, dans un camouflage hérité du trompe-l'œil historique, les personnages sont dissimulés sur les canapés d'une salle à manger (Mimétisme, 2002). Puis, de cette sensation de passage, connue par l'artiste et adressée au spectateur, autre chose se dévoile : l'immersion, dans une culture, une langue, une lumière. Si passer d'un monde social à un autre, c'est toujours manœuvrer, opérer un décalage, en négocier la distance — jusqu'à créer à travers cela des situations absurdes.
C'est cette agilité de contrebandiers avec laquelle Natacha Paganelli et Thomas Lang jouent, s'approprient sans vraiment les détourner, les codes, les signes, des situations marocaines mises en scène dans des étoffes luxuriantes, des reflets d'eau bleue, entre des volutes de fumée, devant le délabrement graphique des murs, entre le merveilleux, l'onirisme et la peur.
Car une fiction, dans Petites histoires marocaines, a submergé les autres pour les englober, une fiction qui est susceptible de les synthétiser en procédant, précisément, du visible, de la culture et de l'altérité… Celle d'Aïcha Kandicha, personnage légendaire dont la famille, pendant l'invasion portugaise du Maroc à la fin du XVIème siècle, a été décimée et qui, par vengeance, apparaît auprès des hommes pour leur faire perdre la tête. Or cette superstition ouvre sur un personnage féminin, qui est une apparition, et donc une image, une femme fantôme, Aïcha figure aussi la femme-mouvement sur lequel ce couple d'artistes mixtes fait une recherche plastique, une expérimentation formelle… Voilà donc un nouveau dialogue invité, celui des hommes et des femmes, de l'image entre eux, avec eux, comme dans cette pièce d'eau, où une inondation a été simulée pour mettre en scène une matrice des corps, féminin et masculin, leur énigme, leur désir commun.
Alexandre Castant
Docteur en esthétique, membre du Centre de Recherche sur l'Image de Paris I, Alexandre Castant est professeur à l'École nationale supérieure d'Art de Bourges. Essayiste, critique d'art, il a publié, notamment, Esthétique de l'image, fictions d'André Pieyre de Mandiargues, Publications de la Sorbonne, coll. " Esthétique ", Paris, 2001 et Noire et Blanche de Man Ray, éditions Scala, coll. " Œuvre choisie ", Paris, 2003.
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