Exposition : Du vendredi 21 janvier 2005 au samedi 09 avril 2005
Photographies de : Ferrante Ferranti.
(…) J'ai traversé le pont au Sphinx, au dessus de la Fontaka. Les bêtes or et granit saupoudrées de neige, l'étendue blanche, gelée de la rivière, l'air bleu clair des grands froids et la sensation de traverser une ville que notre temps humain avait depuis longtemps fuie. La Neva, immense plaine de glace, bordée de cristaux de palais, les deux stalagmites des colonnes rostrales, des gemmes de soleil répandues sur le flux figé. A la tombée du jour, la silhouette de Saint- Nicolas-des-Marins, ce fin clocher rendu translucide par le gel et la pâleur du soleil couchant… Cette ville hors du temps m'offrait une éternité pour errer au milieu des mystères de ses rues. Les saisons glissaient, criblant d'ardeur printanière les redoutes de la forteresse Pierre-et-Paul, noyant de la luminescence nocturne de juin la place du Palais, déversant l'or des feuilles sur les statues du jardin d'Eté. Et, lorsque la neige recouvrait les berges du golfe de Finlande, je me frayais un passage jusqu'à la statue de ce Neptune qui, s'appuyant sur son strident constellé de givre, veillait devant le blanc de la Baltique.
En réalité, j'ai vécu ce retour à trois mille kilomètres de Saint-Pétersbourg : dans un hameau alpin où, un soir, j'examinais les photos prises par Ferrante Ferranti. Je n'ignorais pas que sa vision de Saint-Pétersbourg avait jadis provoqué un vif débat parmi ceux qui connaissaient ou croyaient connaître cette ville. Les jugements russes étaient de loin les plus virulents. Ferrante Ferranti aurait créé une Saint-Pétersbourg vidée de ses habitants et recouverte d'un manteau de neige positivement sibérien !
Je n'avais pas essayé, à l'époque, de contredire ces avis. Et à présent la ville déserte que je découvrais dans ce nouveau livre en préparation me plaisait pour une raison avant tout purement égoïste. Après une absence de plus de vingt ans , j'avais besoin de cette rue Rossi sans une ombre humaine pour pouvoir y revivre mon « instant de la rue Rossi ». Mais plus encore qu'une telle solitude de contemplation, je retrouvais dans ces vues la vérité profonde de Saint-Pétersbourg : une cité dont l'existence matérielle est à chaque moment transcendée par le Beau et à laquelle le quotidien ne s'ajoute que par la nécessité, comme les scories de la prétendue réalité s'agrippant à l'idéal.
Cette ville déserte de Ferrante Ferranti était en fait prodigieusement habitée par l'esprit. Ses perspectives, ses quais, l'étendue des esplanades laissaient deviner la présence d'un spectateur transfiguré par la beauté, du promeneur hypnotisé que chacun de nous pouvait devenir. Ces paysages urbains devenaient en fait des paysages de l'âme – de notre âme révélée dans la plénitude des instants que faisait durer l'art du photographe.
L'un de ces instants durait au milieu de la place des Cinq-Angles, dans l'éclairage légèrement phosphorescent d'un début de nuit d'été. Toute la mystique du temps pétersbourgeois était concentrée dans ce lieu affranchi de tout lien avec la réalité et pourtant si réel. Pénétrant dans sa fugace éternité, on oubliait le pittoresque, la joliesse des formes, le prestige culturel, la gloire des noms, pour ne vivre que la vertigineuse extase de l'arrachement au temps. « L'obscurité lumineuse agissait comme une drogue , écrivait autrefois Dominique Fernandez parlant de cette délivrance par la beauté. Plus de lien avec la terre ; le temps, suspendu, se diluait dans le ciel de nacre et d'opale. »
… Parmi les photos aujourd'hui rassemblées dans ce livre, un cliché a provoqué en moi plus puissamment encore que les autres le sentiment d'une soudaine abolition du temps, la sensation de l'éternité perçue à travers l'éphémère beauté des oeuvres humaine. Aucune astuce d'optique, pas d'embellissements calculés – une vision sobre, taillée dans l'essence esthétique même de Saint-Petersbourg : la Neva et le palais d'Hiver vus par la porte de la Mort (…)
Andreï Makine, septembre 2001
Extrait du texte du livre Saint-Pétersbourg photographies de Ferrante Ferranti, publié aux éditions du Chêne en 2002 Deux livres accompagnent l'exposition : Saint-Petersbourg, photographies de Ferrante Ferranti, texte de Dominique Fernandez, publié chez Stock en 1996. Saint-Petersbourg, photographies de Ferrante Ferranti, texte de Andrei Makïne, publié aux Editions du Chêne, en 2002 3 2
Fnac Italie 2Galerie photo
Téléphone (+33) 158 103 000
Site web www.fnac.com/fnac.net/
Galerie photo de la Fnac,30 avenue d'Italie
75013 Paris
Galerie ouverte du lundi au samedi de 10h à 19h30