Collégiale Sainte-Croix Place Sainte-Croix 86200 LOUDUN France
Grand nom de la photographie, Jean-Claude Gautrand offre une rétrospective de ses œuvres en la Collégiale Sainte-Croix, de ses débuts en 1960 jusqu’à nos jours.
Ses séries photographiques traitent aussi bien de la mémoire des lieux, de leur disparition, mais aussi des formes, de la lumière et de la matière. Son œuvre, intégralement en noir et blanc, permet de voyager à travers des mondes disparus, mais aussi à travers les matières et la lumière.
Né en 1932, Jean-Claude Gautrand découvre la photographie dans les années 1950. Il est le cofondateur du groupe Libre Expression en 1964. Depuis quarante ans, il s’est fait un nom dans le milieu de la photographie expérimentale française.
Non seulement photographe, Jean-Claude Gautrand est aussi un auteur et critique d’art reconnu. Il a publié une trentaine de livres sur la photographie, sur son histoire et sur la Capitale, en particuliers Paris mon amour et L’assassinat de Baltard. Il publie aussi des ouvrages sur les photographes de Paris, les plus récents sont consacrés à Robert Doisneau, Roger Pic, Willy Ronis et Brassaï publiés, aux éditions Taschen.
De la mémoire des lieux…
Marqué à ses débuts par l’influence du mouvement Subjektive Fotografie d’Otto Steinert, les images de Jean-Claude Gautrand, dont la série « Métalopolis » (1964) sont graphiques et abstractionnistes. Véritables mémoires d’un lieu, ces photographies d’une esthétique froide représentent la construction du périphérique parisien, évoquant l’industrialisation, voire la déshumanisation de ces immenses chantiers urbains.
L’exaltation de la matière et des lignes est aussi présente dans la série « L’assassinat de Baltard » (1972). La déconstruction des Halles de Baltard symbolise pour Gautrand et les parisiens celle du cœur de Paris. Ces images métalliques, sombres, qui laissent à peine la place à quelques rais de lumière dénoncent un bouleversement, une page d’histoire et d’architecture qui se referme. La rigueur de la composition en fait ressortir une forte émotion, comme un cri de colère et de douleur.
La série « Sous-bois » est également un travail sur la mémoire d’un lieu, celui d’une forêt dévastée par le passage de la tempête de 1999. Ce sont les constats de morts violentes des arbres abattus de plein fouet que donnent à voir ces photographies. Chaos végétal dans lequel les arbres sont le sujet principal, desquels émanent une puissante force par les prises de vues, et tout à la fois une criante impuissance par leur état de dévastation.
…à la mémoire des temps
Gautrand nous expose aussi une mémoire des temps anciens, voire perdus, notamment dans la série « Bercy » (1979-1989). Pour lui, Bercy est le dernier village parisien du XIXe siècle sacrifié. Les rues pavées, les rayons de lumière à travers les feuilles des arbres, les fûts entassés d’une tonnellerie témoignent de la disparition d’un quartier au profit de fructueuses opérations immobilières. Là encore, la lumière et les compositions dévoilent la poésie de Gautrand.
Les séries « Forteresses du dérisoire » (1976), « Oradour-sur-glane » (1995) et « Camp de Natzwiller-Stüthof » (1996) rappellent la barbarie des hommes et notamment de la seconde guerre mondiale. Ces images décrivent les vestiges d’un passé pétrifié et pétrifiant. Village rasé en quelques heures et fossilisé en cet état, images tragiques d’un camp de
concentration ou encore ruines de bunkers photographiés telles des sculptures de bétons, ces séries exhalent l’horreur du passé, exigeant du spectateur un rappel permanent au devoir de mémoire.
Jeux d’ombres et de lumière, jeux sur la matière et les formes, Gautrand transforme ses sujets et ses compositions en poèmes et en sculptures. Dans la série « Le Jardin de mon père » (2000-2003), les jeux d’ombres et de lumières pourraient presque être le sujet de cette série tant ils jouent sur la perception des sujets photographiés. Gants de jardins, fruits pourris, souches d’arbres ou branches mortes deviennent, face à l’objectif de Gautrand, les métaphores de la dégradation, de l’abandon au temps, de la disparition, de la mort.
La sculpture encore… Le corps de la femme devient matière ou la lumière joue de nouveau, dans la série des nues. Gautrand compose et décompose le corps féminin, le corps nu et sensible devenant poème et sculpture. Ici, le burin est le rayon de lumière, le ciseau du sculpteur, son appareil photo.
On retrouve cette matière sculpturale dans les deux séries « Le Galet » (1967) et « Carnac » (1984) à la fois complémentaires par leur composition et antinomiques par le jeu des formes. Les photographies de « Le Galet » révèlent une douce poésie, une plénitude de la forme, une volupté des lignes. Les menhirs de « Carnac » dévoilent quant à eux des lignes cassantes et une poésie plus abrupte, à travers la mémoire d’un lieu et d’un temps mythique qu’on ne comprendra vraiment jamais. « Carnac » et « Le Galet », ce sont deux séries faisant jonction entre la mémoire des temps et la mémoire des lieux.
L’œuvre de l’artiste est sensible, puissante grâce aux compositions et aux contrastes, dénonciatrices dans la plus pure simplicité des sujets. Différents sentiments émanent de l’œuvre : tour à tour l’inquiétude, la colère, l’harmonie, la plénitude ou la pureté, Gautrand raconte ses états d’âmes dans la beauté de l’art. Son esthétisme sert la mémoire, la mémoire de temps perdus, de lieux disparus.